Ce sont en outre douze films produits par la société que vous avez fondée et longtemps présidée, les Films du lendemain, qui ont reçu des financements d’Arte, parmi lesquels deux longs métrages — Les Âmes fortes et Gradiva — dans lesquels figure votre épouse Arielle Dombasle, le monde est petit, laquelle a par ailleurs vu sa réalisation Alien Crystal Palace, qualifiée par les animateurs du site Nanarland de film « à la fois très personnel, très raté et surtout raté d’une manière très personnelle », recevoir 80 000 euros de la Sofica (1) d’Arte, décidément, là encore pour un véritable raz-de-marée en salles : 2236 entrées. On signalera aussi, sans prétendre à l’exhaustivité, le fait que l’un de vos proches, Matthieu Tarot, avec lequel vous vous êtes associé pour créer deux maisons de disques et qui est entre autres le manager et le producteur d’Arielle Dombasle, vraiment tout petit le monde, a bénéficié quant à lui des largesses d’Arte à hauteur de 400 000 euros pour produire Au fond des bois (2010) et de 500 000 euros pour Une histoire d’amour (2013), film réalisé, au passage, par son épouse Hélène Fillières, ça commence à faire un peu beaucoup.

« Il semble qu’Aymeric Caron a franchi une nouvelle étape dans la campagne de harcèlement qu’il mène, depuis un certain temps, contre moi », avez-vous réagi avec votre fougue habituelle, annonçant que vous aviez l’intention de « porter plainte en dénonciation calomnieuse » contre le député, feignant d’ignorer que si le parquet a décidé d’ouvrir une enquête, supervisée par la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ), c’est que certains magistrats ont considéré que les arguments d’Aymeric Caron étaient pour le moins recevables, ou alors on ne comprend pas tout. La direction d’Arte semble quant à elle faire bloc autour de vous, qui s’en étonnera, vous êtes tout de même celui pour lequel les statuts de la chaîne ont été modifiés l’année dernière afin que vous puissiez rester à la tête de son conseil de surveillance alors que vous aviez atteint la limite d’âge fixée jusqu’alors, ce qui vous permettra, au terme de votre huitième mandat en 2029, d’avoir occupé le poste durant 36 années, quelques fameux dictateurs auraient aimé tenir aussi longtemps.

Cher Bernard Henri-Lévy, cette remarquable longévité à la direction d’Arte — on ne sait pas exactement ce que la chaîne y a gagné mais pour ce qui est de vous et de vos amis on a bien compris — ne résume toutefois pas, loin de là, l’ensemble de votre œuvre médiatique, puisque cela fait désormais près de cinq décennies que vous squattez l’espace public et que nous subissons vos diverses interventions, chroniques, articles, reportages, discours, interviews, éditoriaux, livres, prises de parole, bloc-notes, recueils, documentaires, posts Facebook, conférences, pétitions, longs métrages, tribunes, tweets, appels, journaux de bord, billets, carnets, articulets, entrefilets, trucs. Il faut dire que vous en avez des choses à raconter et que vous estimez qu’il est particulièrement important que vous les racontiez, en témoigne cette immortelle sortie dans une interview au Monde en 1985, qui annonçait il y a quarante ans la vanité qui n’allait cesser de se développer tout au long de votre carrière, jusqu’à en devenir proverbiale et à vous valoir quelques attentats pâtissiers mérités : « Vous pouvez l’écrire, je considère que je suis l’écrivain le meilleur, l’essayiste le plus doué de ma génération. »

Juste avant que ne survienne le regrettable incident de l’annonce de l’enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêts », peut-être va-t-il falloir penser à rendre l’argent, vous acheviez une tournée médiatique à l’occasion de la sortie de votre dernier livre, Nuit blanche, le 49e d’une longue série qui compte entre autres des ouvrages aux titres tout en modestie comme « Le Testament de Dieu », « L’Idéologie française », « Question de principe », « Éloge des intellectuels », « Les aventures de la liberté », « Le Jugement dernier », « Les Hommes et les Femmes », « La Pureté dangereuse », « Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire », « American Vertigo », « De la guerre en philosophie » ou encore « La Guerre sans l’aimer », quel talent, il se dit dans les forums consacrés aux gens qui écrivent plein de livres avec des titres très intelligents que votre seul concurrent dans le domaine est le très prolixe et très humble Michel Onfray, c’est dire.

Une tournée médiatique disions-nous, tant il est vrai que lorsque vous commettez un livre il est difficile, voire impossible, de ne pas en être informé — ce qui ne signifie pas pour autant que vos ouvrages recueillent davantage de succès public que vos films, Capital ayant ainsi par exemple relevé que sur les 17 livres que vous avez publiés entre 2004 et 2020, seuls quatre ont dépassé les 20 000 exemplaires vendus, ce qui n’est pas franchement fameux, surtout au regard des intenses campagnes de promotion dont ils bénéficient. En témoigne ainsi le récent battage médiatique autour de Nuit blanche, qui vous a valu des recensions dans le Nouvel Obs, le Monde, Paris-Match, le JDD-Bolloré, le Point, le Figaro, Causeur, Marianne, Actualité juive, Atlantico, le Monde (bis), Actualité juive (bis) et le JDD-Bolloré (bis, sous la plume de Pascal Praud, quel honneur), un long portrait dans Libération au cours duquel on apprend, entre autres, qu’Arielle Dombasle vous appelle « mon ange », c’est bien noté, et que vous continuez de prétendre que le document produit par Blast attestant des généreuses intentions du Qatar à votre égard est un « faux grotesque » alors que la justice a établi le contraire, c’est pas beau de mentir, des entretiens dans l’Express, le Figaro, le Parisien, Causeur, la Tribune dimanche et Franc-Tireur, sans oublier des invitations sur France Inter, France Culture, France 5, CNews/Europe 1, RTL, Radio classique, LCI, C8, CNews sans Europe 1, le Figaro TV, CNews/Europe 1 (bis) et France 5 (bis), n’en jetez plus, même le groupe U2 et son chanteur Bono sont plus discrets lorsqu’ils font une tournée.

Une telle promotion n’a rien de surprenant tant vous êtes un habitué de la chose, et rappelle à quel point vous êtes avant tout un homme de réseaux, qui a su se positionner, au fil du temps, de façon centrale voire incontournable dans le petit monde des grands médias, de la culture et de l’édition, nouant en outre de solides relations du côté des grands patrons et des responsables politiques. C’est ce qu’avait par exemple montré la mémorable soirée organisée, en 2010, lors du vingtième anniversaire de votre revue la Règle du jeu, immortalisée par le non moins mémorable « reportage » d’autocélébration alors publié par vos soins (2), un déroutant exercice de name dropping qui nous avait appris que François Bayrou, Lionel Jospin, Frédéric Mitterrand, Jack Lang, Bernard Kouchner, Laurent Fabius, Simone Weil, Bertrand Delanoë, Aurélie Filippetti, Arnaud Montebourg, Daniel Cohn-Bendit, Xavier Niel, Françoise Bettencourt, Arnaud Lagardère, David de Rothschild, Pierre Bergé, Alain Delon, Milan Kundera, Vincent Lindon, Carole Bouquet, Elsa Zylberstein, Patrick Bruel ou encore Roman Polanski, on y reviendra, avaient côtoyé ce soir-là non seulement à peu près tous les directeurs de maisons d’édition de la place de Paris mais aussi à peu près tous les patrons de presse de la place de Paris et, pour bien faire, à peu près tous les éditorialistes de la place de Paris, à défaut de vendre des livres et de faire des entrées au cinéma vous avez plein de copains c’est chouette.

Nulle surprise, dès lors, à ce que vous soyez régulièrement et complaisamment reçu et publié à peu près partout et à peu près tout le temps, pour y dire à peu près tout et — surtout — n’importe quoi, qu’il s’agisse de raconter de monumentales âneries à propos de l’Iran (2018), de vous contredire sans ciller lorsque vous défendez poliment la « charia » de vos amis libyens tout en vous en prenant vertement à la « charia » des Palestiniens (2011), de raconter de monumentales âneries (bis) à propos du Pakistan (2003), de pronostiquer la défaite du Brexit ou la victoire d’Hillary Clinton face à Trump (2016), de bidonner un reportage en Géorgie en prétendant, entre autres, vous être rendu dans des lieux où vous n’avez jamais mis les pieds (2008), de raconter de monumentales âneries (ter) à propos de l’Afghanistan (2001), ou encore de faire montre de votre immense culture philosophique en commettant, dans un tweet de soutien à Manuel Valls (2015), ça ne s’invente pas, un invraisemblable contresens sur Machiavel, ou en citant le plus sérieusement du monde, dans l’un de vos livres (2010), le philosophe « Jean-Baptiste Botul », qui n’a jamais existé car c’est un personnage fictif, créé par le journaliste Frédéric Pagès et supposément auteur de la Vie sexuelle d’Emmanuel Kant et de Landru : précurseur du féminisme, ça la fout mal un peu mal quand même.

Le problème, cher Bernard-Henri Lévy, est que vous ne vous contentez pas de raconter n’importe quoi, ce qui pourrait être amusant et contribuer à alimenter régulièrement les savoureuses rubriques que vous consacrent Acrimed et le Monde diplomatique, lesquelles nous ont été, au passage, fort utiles pour rédiger ce courrier, mais que vous usez et abusez de vos positions médiatiques pour y marteler ce qui vous tient lieu de pensée et pour vous en prendre à ceux dont vous n’appréciez pas les idées, réelles ou supposées. Quitte à vous laisser emporter par votre ignorance en confondant Bernard Cassen, ancien directeur du Monde diplomatique, et Pierre Cassen, militant d’extrême droite, à passer de l’emphase à la calomnie en affirmant, à propos de Dominique de Villepin, qu’il éprouve « une haine d’Israël et de ceux dont Israël est le nom, c’est-à-dire les juifs », ou à recourir à des méthodes d’intimidation de bas étage à l’égard de celles et ceux qui osent enquêter sur vous, en intentant des procès en diffamation comme vous l’avez récemment fait contre Blast (perdu) ou en menaçant des biographes « non autorisés » (3) de représailles, quitte à rouler des mécaniques sans avoir peur du ridicule : « Je suis quelqu’un de policé dans mes relations avec le monde, mais je suis secrètement violent. » OK Vito Corleone.

À l’inverse, ces mêmes positions vous servent à défendre vos bons copains, avec une tendance notable, tiens donc, à voler au secours de ceux qui, parmi eux, sont accusés de violences sexuelles, en ayant pour ce faire toujours recours à des arguments — forcément — de haute volée :

- À propos de Dominique Strauss-Khan, alors accusé de viol : « Le Strauss-Kahn que je connais, le Strauss-Kahn dont je suis l’ami depuis vingt-cinq ans et dont je resterai l’ami, ne ressemble pas au monstre, à la bête insatiable et maléfique, à l’homme des cavernes, que l’on nous décrit désormais un peu partout : séducteur, sûrement ; charmeur, ami des femmes et, d’abord, de la sienne, naturellement ; mais ce personnage brutal et violent, cet animal sauvage, ce primate, bien évidemment non, c’est absurde. »

- À propos de Frédéric Haziza, alors accusé d’agression sexuelle : « Qui nous fera croire qu’Haziza est le Weinstein francais ? Et comment mettre un signe égal entre ce qui lui est reproché et ce dont on accuse Ramadan ? Amitié à Frédéric Haziza. »

- À propos de Roman Polanski, condamné pour viol sur mineure et alors interpellé en Suisse : « La Suisse abrite des criminels autrement plus sérieux que Roman Polanski et vient maintenant arrêter Roman Polanski qui a commis, peut-être, cette erreur de jeunesse, il y a 30 ans ? Non ! Que la Suisse se souvienne plutôt de son beau passé. La Suisse a été un pays d’asile, la Suisse a été un pays refuge, c’était un pays où on se réfugiait quand on était persécuté par l’Inquisition, c’est le pays de Voltaire et de Rousseau… »

Au passage, on signalera que cet engagement résolu au côté des femmes victimes de violences ne surprend pas venant de celui qui déclarait en 2009, lors d’un entretien avec le talentueux Frédéric Beigbeder pour le prestigieux magazine masculin GQ, tout un programme, ce qui suit : « Autrefois, d’ailleurs, j’avais un test que j’appelais "le test de la pouffiasse" : si je dînais avec une fille qui hésitait pendant des plombes avant de décider ce qu’elle allait prendre, c’était assez mal barré. Et si je lui disais "prenez donc de la morue aux épinards" et qu’elle s’abîmait dans une contemplation encore plus sidérée de la carte en me demandant d’une voix éteinte "ouchais, j’voispas", ça devenait carrément rédhibitoire. » N’ayant pas pour habitude d’être vulgaire, on s’abstiendra ici de tout commentaire et on se contentera de revenir à notre propos.

Vous aimez ainsi défendre vos amis, c’est touchant, mais le grand œuvre de votre vie est incontestablement votre soutien inconditionnel à l’État d’Israël, partout, tout le temps. Est-ce parce que votre père a fait fortune grâce à la Becob, société notamment spécialisée dans l’exploitation des ressources africaines et l’import-export de bois coloniaux, que vous éprouvez une telle sympathie à l’égard de l’entreprise coloniale israélienne ? Peut-être. Il n’y a en tout cas aucun doute quant au fait que la défense d’Israël, contre vents et marées, est une véritable marque de fabrique chez vous depuis plusieurs décennies, quitte à :

- comparer la guerre israélienne contre le Liban en 2006 à la résistance des Républicains espagnols contre le putsch de Franco ;

- jouer au petit soldat lors de l’opération « Plomb durci » contre Gaza à l’hiver 2008-2009 (1400 morts), en participant directement, revêtu d’un casque et d’un treillis de l’armée, à une « incursion » nocturne à bord d’un véhicule blindé d’une « unité d’élite » israélienne ;

- ironiser (et mentir) sur la colonisation en prétendant, en 2024, alors que le nombre de colons israéliens approchait alors les 750 000, avec un taux de croissance de 250% en 25 ans, que « trois caravanes en haut d’une colline, c’est pas non plus la lèpre ou la peste qui arrivent en terres arabes » ;

- prendre la défense d’Israël lors du sanglant assaut contre la Flottille de Gaza en 2010 (neuf morts), en clamant, contre l’ensemble des rapports de l’ONU et des ONG, que le blocus sur Gaza « ne concerne que les armes et les matériaux pour en fabriquer [et] n’empêche pas que passent, tous les jours, depuis Israël, entre 100 et 120 camions chargés de vivres, de médicaments, de matériel humanitaire en tout genre » ;

- affirmer, en 2024, que « la mort des civils de Gaza n’est pas un massacre », « qu’il y a peu de tirs israéliens qui ne soient littéralement mesurés dans le but et l’intention qu’il y ait le moins possible de victimes civiles » ou que l’accusation de génocide fait « passer du complot judéo-maçonnique, ou judéo-bolchévique, ou judéo-capitaliste, à la conspiration judéo-génocidaire dont tous les Juifs du monde seraient plus ou moins complices ».

- etc.

Cher Bernard-Henri Lévy, difficile de ne pas relever que cet accès quasi-illimité aux médias pour y répandre des calomnies, soutenir vos amis dans la panade ou défendre des positions politiques outrancières, est grandement facilité non seulement par les réseaux que vous avez construits mais aussi, les deux phénomènes se nourrissant, par les positions que vous occupez ou avez occupées au sein même desdits médias. Signalons ainsi que, que parmi les articles auxquels nous nous sommes référés ci-dessus, plusieurs ont été publiés par des journaux dans lesquels vous avez exercé des responsabilités et/ou dans lesquels vous avez, c’est encore mieux, investi de l’argent, telle cette « tribune » publiée dans Libération lors de l’attaque de la Flottille alors que vous étiez actionnaire du journal et membre de son conseil de surveillance, c’est plus simple comme ça, conseil de surveillance que vous avez ensuite quitté pour rejoindre le… conseil de surveillance du Monde au sein duquel vous avez siégé de 2010 à 2022, décidément quel globe-trotter vous êtes, période durant laquelle le quotidien, s’il a pu être critique de certaines de vos productions artistiques, n’aura pas manqué pas de se faire l’écho de vos aventures, par exemple dans cet article de 2011 où l’on apprenait que « BHL, militant depuis des décennies de causes épiques et souvent justes, est un génie de la communication », c’est l’évidence.

Le cas du Point, hebdomadaire possédé par le milliardaire François Pinault et dans les pages duquel vous publiez chaque semaine, depuis plus de trois décennies, un indispensable « bloc-notes », est un peu différent, et nous ramène à votre paternel et à sa firme d’import-export, qui fit de lui un concurrent de Pinault, lui aussi spécialiste en spoliation des richesses africaines, avant de devenir, si l’on en croit le site qui vous est consacré, « son associé et son ami », c’est beau. En 1997, deux ans après la mort de votre père, Pinault rachètera sa firme et certains autres actifs familiaux, pour un montant équivalent à près de 100 millions d’euros, répartis au sein de votre fratrie et réinvestis par la suite, faisant de vous un riche héritier-entrepreneur à la tête d’une fortune estimée à 150 millions d’euros en 2004. La liste de vos investissements passés et présents donne le tournis : Candover (fonds d’investissement), Jaber’s Negoce (import/export de denrées alimentaires), Sanotech (salles de sport), Wijet (jets privés), mais aussi Picard Surgelés, pourquoi pas, et bien d’autres encore, le tout administré par près d’une dizaine de sociétés de gestion de patrimoine, immobilières et financières desquelles vous êtes actionnaire, souvent majoritaire, parfois unique, bravo à vous.

Votre patrimoine financier vous a en outre conduit à développer un goût immodéré pour les investissements immobiliers de luxe : riad à Marrakech, villa de six étages et 600 mètres carrés à Tanger, appartement de 350 mètres carrés à Saint-Germain-des-Prés, appartement de 330 mètres carrés dans le 8e arrondissement de Paris « avec une vue directe sur l’Arc de Triomphe et sur la Tour Eiffel », voilà qui doit apaiser votre âme meurtrie par les malheurs du monde. Mais tout cela ne va pas sans créer certaines difficultés, comme en témoigne ce déchirant cri du cœur poussé en 2017 : « J’ai trop de maisons à travers le monde ». Non ? Si : « Je vis une partie de mon temps à Paris, une partie à New York, une dernière partie à Marrakech. Mais j’ai trop de maisons à travers le monde. Et, hélas, l’année ne dure que 52 semaines. » 52 semaines durant lesquelles, notons-le, vous avez tout de même trouvé le temps de co-produire, en 2004, un film portant sur le passionnant sujet de la restauration, par l’architecte Andrée Pullman, de votre villa à Tanger, mais où allez-vous chercher tout ça.

On le voit : votre vie est si riche, si l’on puit dire, que nous pourrions nous y égarer, même si en réalité ce détour par le Maroc nous ramène à notre point de départ, à savoir votre appétence pour les subventions venant à l’appui des films que vous réalisez et/ou produisez. En effet, ce fameux documentaire sur votre luxueuse maison a reçu un financement à hauteur de 150 000 euros, venu cette fois de France 5 et non d’Arte, c’est important de diversifier ses sources, ce qui a déclenché une polémique interne à l’époque, avec menaces de démissions, certains vous accusant, ces cuistres, de faire prendre en charge la restauration de votre villa par de l’argent public. Le tout pour aboutir à un succès d’audience « à la BHL » : 21 000 téléspectateurs, soit un audimat parfaitement ridicule pour la chaîne. Un article de Capital confirme d’ailleurs que vos liens privilégiés avec Arte sont concurrencés par ceux que vous entretenez avec France télévisions, une véritable vache à lait pour vous et vos documentaires pourtant confidentiels : 500 000 euros pour Une autre idée du monde, 230 000 euros pour Princesse Europe, 300 000 euros pour Mort à Sarajevo, 225 000 euros pour American vertigo, 600 000 euros pour Bosna !, etc. Aucune prise illégale d’intérêts ici dans la mesure où vous n’exercez pas, à notre connaissance, de responsabilités à France télévisions, ce qui n’est pas le cas de la Commission d’avance sur recettes du CNC, à la tête de laquelle vous fûtes nommé en 1991 et qui, les miracles sont décidément fréquents avec vous, a eu ensuite la bonne idée d’octroyer 3,5 millions de francs à votre film le Jour et la nuit, qui fit un monumental bide en salles et fut unanimement célébré par la critique comme l’un des pires nanars de tous les temps, ainsi que des aides à vos documentaires Bosna ! et la Nuit algérienne, décidément vous êtes très doué.

Cher Bernard-Henri Lévy, même si nous sommes loin d’avoir fait le tour de vos exploits, le temps est venu de conclure cette missive, en remarquant que le plus tragique dans toute cette histoire est que certains persistent à vous écouter, y compris des présidents de la république, qu’il s’agisse de justifier la désastreuse guerre en Libye ou de faire la catastrophique proposition d’une « coalition anti-Hamas » calquée sur la « coalition anti-Daesh », riche idée, tandis que d’autres continuent de vous inviter ou de vous offrir leurs colonnes en vous présentant comme un « intellectuel » qui n’est en vérité connu que pour sa notoriété. Un phénomène qui fait écho à la question prémonitoire que le philosophe Cornelius Castoriadis posait à votre sujet en 1979 (4) : « Sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un "auteur" peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la "critique" le porter aux nues, le public le suivre docilement – et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ? » Cela ne fait guère de doute : votre « succès » en dit moins long sur vous que sur le désastreux contexte social, politique et idéologique dans lequel vous avez réussi à vous imposer, malgré la boursouflure de votre ego, la récurrence de vos âneries et l’évidence maintes fois démontrée que votre pensée est aussi vide que votre carnet d’adresses est rempli.

Cordialement,

Jules Blaster

__________

(1) Société pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle.

(2) Une soirée qui avait également attiré l’attention d’Acrimed et d’Arrêt sur images.

(3) Signalons ici l’existence de trois riches biographies critiques vous concernant : Philippe Cohen, BHL, une biographie (Fayard, 2004), Nicolas Beau et Olivier Toscer, Une imposture française (les Arènes, 2006) et Jade Lindgaard et Xavier de la Porte, Le nouveau B.A. BA du BHL (la Découverte, 2011).

(4) Profitons-en pour signaler quelques autres petites pépites à votre propos :

Perry Anderson (2005)

« Il serait difficile d’imaginer une inversion plus radicale des normes nationales en matière de goût et d’intelligence que l’attention accordée par la sphère publique en France à ce grand nigaud, en dépit des preuves innombrables de son incapacité à saisir correctement un fait ou une idée. Une telle caricature pourrait-elle exister dans une autre grande culture occidentale aujourd’hui ? »

Raymond Aron (1981)

« Le livre [L’Idéologie française] ne se prête guère à une discussion objective, selon le mot consacré dans les universités. II n’apporte aucun fait, aucun document, aucun texte que l’on ne trouve dans les quelques livres dont Bernard-Henri Lévy a tiré, pour l’essentiel, la matière qu’il triture à sa manière. Ce qui lui appartient en propre, c’est une certaine mise en place d’un corpus de mots ou de phrases. Or, cette mise en place est à tel point commandée par le propos de l’auteur que l’on se demande s’il vaut la peine de discuter avec un "philosophe" qui s’arroge le rôle de justicier. »

Pierre Bourdieu (date inconnue)

« Bernard-Henri Lévy, celui que ma concierge prend pour un journaliste, les journalistes pour un philosophe et les philosophes pour ma concierge. »

Gilles Deleuze (1977)

« Je crois que la pensée [des « nouveaux philosophes »] est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D’abord ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l’ange. En même temps, plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d’importance, plus le sujet d’énonciation se donne de l’importance par rapport aux énoncés vides. »

Pierre Vidal-Naquet (1979)

« Il suffit, en effet, de jeter un rapide coup d’œil sur ce livre [Le Testament de Dieu] pour s’apercevoir que loin d’être un ouvrage majeur de philosophie politique, il fourmille littéralement d’erreurs grossières, d’à-peu-près, de citations fausses, ou d’affirmations délirantes. Devant l’énorme tapage publicitaire dont bénéficie cet ouvrage, et indépendamment de toute question politique et notamment de la nécessaire lutte contre le totalitarisme, il importe de rétablir, dans les discussions intellectuelles, un minimum de probité. »

Cher Bernard Henri-Lévy - Boxing Day #21

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Jean-Yves Mollier, « Brève histoire de la concentration dans le monde du livre » - Les bonnes feuilles

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