Frontières, média d'extrême droite jusqu'alors peu connu, a eu son quart d'heure de gloire warholien le 9 avril dernier à l'Assemblée nationale. Fait sans précédent, il a même eu droit à une manifestation hostile dans les jardins du Palais Bourbon.

Motif : des collaborateurs parlementaires avaient peu apprécié de voir leurs noms associés dans les pages du dernier numéro du trimestriel, sur la base d’engagements tout à fait honorables, à des accusations d'« islamo-gauchisme », voire d'antisémitisme ou de racisme.

Un de leurs représentants a lu un texte demandant le retrait de l'accréditation des salariés de Frontières à l'Assemblée nationale.

La une incriminée avait de quoi fâcher : calomnies et injures s'y étalaient sans vergogne, reprenant de manière assumée la terminologie classique des polémistes d'extrême droite des années 1930. « LFI, le parti de l'étranger » : étaler à sa une l'expression par laquelle Charles Maurras désignait ce qu’il appelait aussi les « quatre états confédérés », à savoir les Juifs, les « métèques », les francs-maçons et les protestants, il fallait oser !

Surtout pour accuser d'antisémitisme un parti d'opposition qui manifestait récemment encore contre le racisme. En l'occurrence LFI, qualifié dès la couverture non seulement d'antisémite, mais aussi de raciste et d'islamiste ! Rien que ça !

Pendant le rassemblement des collaborateurs parlementaires, trois salariés de Frontières se postent ostensiblement sur le petit belvédère qui fait face aux protestataires, à côté de quelques députés de gauche venus soutenir les manifestants. Provocateurs, ils filment les assistants. Des parlementaires s'indignent de leur présence. L'ambiance est électrique. Le député communiste Jean-Paul Lecoq joue des coudes pour imposer sa présence physique.

Louise Morice, propagandiste du média, l'accuse aussitôt de violence : « Vous tapez une femme monsieur ? » Mais non, évidemment. Exaspérée, une autre députée pousse légèrement la jeune effrontée : elle fera par la suite l'objet d'odieuses attaques grossophobes sur les réseaux sociaux.

Les trois provocateurs sont finalement exfiltrés. Ils sont aux anges : ils l'ont eu leur image de scandaleuse « atteinte à la liberté de la presse ».

Des députés RN brandissent la une de Frontières à l'Assemblée, hurlent à la violence des parlementaires de gauche. On notera ironiquement au passage que les plus virulents parmi ces derniers ont été des socialistes, tandis qu'à leur côté, les députés LFI Raphaël Arnault (oui, vous savez, celui que l'extrême droite ne désigne plus que comme « le triple fiché S ») et Carlos Martens-Bilongo sont restés placides, quoique un brin moqueurs - ce qui n'est quand même pas, tout le monde en conviendra, une insupportable atteinte à la liberté de la presse. Hilare, Raphaël Arnault multiplie ainsi les mimiques et les gestes de la main. « Des signes antifascistes », s'indignera dans les médias de la fachosphère Louise Morice, feignant le traumatisme. Un antifasciste faisant des signes antifascistes, quoi de plus effrayant en effet !

Pendant plusieurs jours, les plumitifs de Frontières passent en boucle dans les médias d'extrême droite, CNews en tête, pour hurler à l'entrave à la liberté de la presse. Les autres médias passent vite à autre chose, au grand dam de Pascal Praud, qui feint de s'étonner que sa chaîne soit la seule à s'épancher sur l'événement. Qu'aurait-on dit si des députés de droite s'étaient comportés de la sorte avec des journalistes de Libération, s'étrangle l'ancien journaliste de Téléfoot, dans une fausse équivalence dont l'extrême droite est friande.

Dans cette période de confusionnisme, quelques mises au point simples s'imposent.

D'abord, et le images le montrent, il n'y a pas eu de violences contre les agités de Frontières, simplement un climat électrique que les provocations du média, qui ne datent pas de ce 9 avril, ont suscité.

Ensuite on peut se demander s'il y a vraiment eu atteinte à la liberté de la presse ? Car Frontières, est ce vraiment de la presse, du journalisme ?

Être journaliste donne des droits (comme celui de bénéficier d’une accréditation à l'Assemblée nationale), mais implique des devoirs. Notamment une certaine honnêteté, le respect du contradictoire - laisser la parole aux personnes mises en cause -, mettre de côté toute animosité personnelle, ne pas mettre en danger des personnes, s'abstenir de toute invective, recouper ses informations, les vérifier ; bannir tout amalgame, insinuation, accusation sans preuve, distinguer les commentaires et les analyses des faits. On pourrait ajouter : ne pas provoquer l'événement, ne pas en être acteur, s'interdire toute mise en scène. Une ligne rouge que Frontières franchit régulièrement.

Sur ce dernier point, l'esclandre du 9 avril fut de manière évidente une mise en scène, comme l'a relevé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée, dans son communiqué après les incidents.

Car que faisaient ce jour-là trois propagandistes à l'Assemblée, eux qui travaillent dans un média comptant moins de dix prétendus « journalistes » ? Qui peut croire que ce média à l'audience limitée envoie chaque semaine le tiers de ses effectifs au palais Bourbon ? De l'aveu même de leur patron, Erik Tegnér*, ils ont été dépêchés pour « couvrir » la manifestation contre eux.

En s'y rendant de manière ostentatoire, prenant place sur le petit belvédère surplombant la foule aux côtés de députés de gauche, ils cherchaient, de manière évidente, à provoquer des incidents qu'ils comptaient eux-mêmes filmer. Mieux, dans un souci évident de non-discrétion, Tegnér a envoyé la seule tête connue de son média, l'inénarrable Jordan Florentin, spécialiste de la provocation, qui excelle dans son rôle de parfaite tête à claques - encore que, sans vouloir amoindrir le moins du monde ses qualités d'acteur, il semble avoir quelques prédispositions.

Jordan Florentin, c'est le pitre pathétique qui se pointe à chaque manifestation de gauche pour provoquer les participants et les harceler, dans le fol espoir, systématiquement déçu, qu'un manifestant tente de lui coller une bonne droite (ou plutôt une bonne gauche) qu'il esquiverait habilement, pour dénoncer ensuite les violences de l' « ultragauche ». Pas fou, le gaillard est escorté de cinq ou six gardes du corps. Pour maximiser ses chances d'obtenir le résultat escompté, le micro qu'il tend arbore bien visiblement l'inscription « Frontières ». Il en est le plus souvent pour ses frais, comme lorsqu'il apostrophe les manifestants antiracistes le 22 mars dernier : « Frérot, ça sert à rien de venir ici, surtout avec une bande de mecs que t'as payé et qui pensent pas comme toi, arrête de dépenser de l'argent pour divulguer des petits propos de merde. » « Je ne parle pas aux fachos, je suis désolé, bisous chaton, à plus », lui lance un jeune, tout sourire.

Qu'une personne refuse poliment de lui répondre, il lui dénie ce droit, la suit sur une dizaine de mètres, l'enjoignant à lui parler, parce que « c'est ça la démocratie ». Ben non Jordan, la démocratie n'impose pas de te répondre.

Revenant systématiquement bredouille de ses aventures en terrain ennemi, il brode et affabule. Ainsi apostrophe-t-il le député LFI Sébastien Delogu, lequel lui demande de partir d'un simple geste de la main. Florentin raconte par la suite que le parlementaire a traité de « noir de service » l'un de ses gardes du corps, ce que l'on ne voit pas à l'image, alors que le tout est filmé dans la continuité. Sébastien Delogu a fermement démenti ces propos.

«Ici, il y a une ultra-violence décomplexée de l'ultragauche », commente Florentin face caméra au sujet de cette manifestation, déclenchant l'hilarité sur les réseaux sociaux, tant ses propres images montrent une déambulation tout à fait calme.

Certaines de ses publications sur les réseaux sociaux sont moins drôles.

Sur Instagram, il se réjouit de l'arrestation musclée d'un des frères d'Adama Traoré lors d'une manifestation, et ironise sur une femme projetée au sol sans ménagement par la police, l'accusant d'avoir fait du cinéma, transformant une violence policière en un « magnifique jeté au sol superbement joué par la militante ».

Non, les plumitifs de Frontières ne sont pas des journalistes

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