L’Empire n’a jamais pris fin. C’est une phrase qui est apparue dans un rêve de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick. Il était dans une librairie et il cherchait des vieux numéros d’une revue nommée : L’Empire n’a jamais pris fin. S’il réunissait toute la collection, l’histoire politique et spirituelle de l’humanité serait enfin lisible. Nous pourrions sortir de l’amnésie, de la « prison de fer noire ». Philip K. Dick savait quel sens symbolique avait ce titre, L’Empire n’a jamais pris fin. Il l’écrira dans L’Exégèse, ce journal rédigé toutes les nuits de 1974 à sa mort en 1982 : « Rome a toujours été là, est et sera toujours là. Le christianisme que nous voyons de manière exotérique est en réalité romain, infiltré par Rome. » C’est même Rome au carré. César deux points zéro. Puisque, infiltrant le christianisme, l’Empire allait faire passer son entreprise de domination pour une aventure spirituelle. Et ses conquêtes matérielles pour des combats du Bien contre le Mal. « On juge l’arbre par ses fruits » a dit Jésus. Cette parole, lorsqu’on doit l’appliquer à celle qui s’en est prétendue l’héritière légitime, l’Église, fait mal. Si on doit juger l’Histoire de l’Église et celle de la France, sa « fille aînée », non par ce qu’elles disent d’elles-mêmes mais par ce qu’elles ont fait, l’arbre n’est pas plaisant à voir. C’est le moins qu’on puisse dire. Cette alliance, nouée lors du baptême de Clovis à la fin du Ve siècle, devait culminer au XIIIe dans un crime que la France et l’Église réaliseront en commun : La Croisade contre les Albigeois. Le massacre de ces hérétiques que l’on a dit « cathares » et la conquête des territoires des seigneurs qui les protégeaient. S’il fallait un seul événement pour démontrer que l’Empire romain, neuf siècles après sa fin apparente, n’avait cessé de dominer le monde, ce serait celui-là. Comme dit Simone Weil : « On peut trouver dans l’histoire des faits d’une atrocité aussi grande, mais non plus grande, sauf peut-être quelques rares exceptions, que la conquête par les Français des territoires situés au sud de la Loire, au début du XIIIe siècle. » Ce qui va suivre est de l’Histoire et n’en est pas. Pas vraiment. Pas seulement. Parce qu’un tel récit déborde de sa seule réalité historique. C’est un événement d’une autre nature. Ce récit de chevaliers français et d’inquisiteurs catholiques exterminant des « hérétiques » situés dans le Sud-Ouest est aussi l’histoire d’un monde parallèle. Un monde étrange et familier, avec une mentalité si moderne qu’elle nous semble presque anachronique et une mythologie qui semble venir de loin, de très loin, dans le temps comme dans l’espace, et dont on se demande comment elle a pu coexister avec la France chrétienne médiévale. Car avec eux, auprès d’eux, se continue imperturbablement pour nous la Geste secrète des Sans Roi. L’Extermination des Cathares n’est pas seulement un épisode sanglant, c’est un récit mystérieux. Il nous emporte, qu’on le veuille ou non, sur une autre rive. Il se situe, comme ces hommes qui furent tués, de l’autre côté du miroir de l’Histoire. Avec la collaboration philosophique de Franc Bardou.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret