"L'idée de ces Doc doc doc a germé quand j'ai écrit pour Blast la chronique du Casa Susanna de Sébastien Lifshitz. Ce film racontait l'histoire d'un lieu dans les années 50 où les hommes pouvaient se travestir, mais plus largement vivre leur sexualité sans être jugés. Le documentaire évoquait les racines d'un mouvement et d'une prise de conscience qui mènerait au grand mouvement LGBTQIA+ lesbienne, gays, bi, trans, queer, intersexué et asexuel. Je sais ce que c'est d'être à la marge, au bord de la normalité, de ne pas avoir de place définie dans la société. Ce qu'on ressent quand on est un bug dans la matrice et qu'on surprend les regards qui s'attardent comme des points d'interrogation sur vous. Ne pas être conforme, ne pas bien entrer dans les archétypes ou les dictionnaires. Être un peu à l'écart du monde. Avoir à se battre pour être légitime et reconnu. Gagner sa différence, sa fierté, sa place dans l'existence. Si j'ai voulu évoquer cette cause, c'est que l'un des thèmes que je veux explorer avec cette série, c'est l'intersectionnalité, les combats nécessaires pour ne pas être invisibilisé par la société et la pensée dominante. Ce besoin de reconnaissance rejoint celui des racisées, des féministes, des handicapés.Quand je vois ces hommes et ces femmes tenter de se fondre aux autres et d'adopter des manières qui ne sont pas les leurs pour ne pas déranger. Je songe à ces noirs qui se faisaient lisser et éclaircir les cheveux dans les années 50, aux États-Unis pour faire blanc. C'est ce qu'on voit dans Malcolm X de Spike Lee. Je songe à l'injonction, souvent beaucoup plus violente qu'on ne le croit, à s'assimiler, à ne pas être différent, divergent. Et en vérité, je songe à mon moi de douze ans, tout fier d'une photo où je me tenais debout parce que j'avais l'air d'un valide. Je comprends la honte d'un gay qui veut avoir l'air d'un hétéro. La norme, pourtant, n'a jamais rendu heureux, mais au moins on ne remarque pas. Or, il faut faire remarquer."
Crédits photo/illustration en haut de page :
Diane Lataste