En ce début de semaine, après un travail considérable, les enquêteurs de (Office Central de lutte contre le crime organisé), sous la direction des juges d’instruction de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) ont réussi à trouver et à interpeller sans heurts Mohamed AMRA. La coordination entre les services de police, le parquet et donc la JUNALCO a été exemplaire.

Cette affaire montre l'efficacité de cette Police Judiciaire que M Darmanin a voulu réformer malgré la résistance et la contestation quasi unanimes des effectifs de cette police. Plutôt que d’aller me vanter devant des caméras de cette opération réussi en cherchant à en tirer un bénéfice politique, compte tenu de cette situation, à leurs places (je pense surtout à Mrs Darmanin et Retailleau), j’aurais fait profil bas. Eux, pas.

L'affaire AMRA est la démonstration de leur grossière erreur et de leur duplicité. C’est aussi une leçon de choses en quelque sorte donnée par les membres de la PJ a leurs ministres.

La récente réforme de la PJ est entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Elle n'en est qu'à ses débuts et, en quelque sorte, à son expérimentation. L’affaire AMRA -il est utile de le rappeler- a été lancé n’a pas encore eu le loisir d’être victime de cette réforme.

Progressivement, la fusion des 14 000 enquêteurs de la sécurité publique avec les 4000 membres de la police judiciaire risque d’entraîner la disparition de cette dernière, et donc, de sa compétence technique pourtant indispensable en matière de lutte contre la grande criminalité.

Cette réforme de la PJ est très critiquée par l’immense majorité des policiers et des magistrats. Qui a oublié le limogeage du Directeur de la direction interrégionale PJ de Marseille, M. Eric Arella, en octobre 2022, au lendemain de la « manifestation » de ses collaborateurs opposés à la réforme imposée par l'actuel pouvoir ?

Le commissaire divisionnaire honoraire Yves Jobic, ancien « patron » de la Brigade de Recherches et d’Intervention (BRI) de Paris, constatait lui, trop publiquement que cette nouvelle réforme libérale affaiblirait l'un des fleurons de notre Service Public. D’une part, les enquêteurs de l’ex Police Judiciaire vont peu à peu rejoindre ceux de la filière investigation de la Sécurité Publique. D'autre part, ils vont désormais lâcher la criminalité organisée pour faire du chiffre et travailler sur des dossiers mineurs. Tout un savoir-faire, une expertise, une histoire sont voués à disparaître. Nous allons assister à un nivellement inadmissible par le bas.

Julien Sapori, commissaire divisionnaire honoraire, historien, qui était en poste au Service Départemental de la Police Judiciaire des Hauts de Seine a décrit les conséquences prévisibles d’une réforme qu’il qualifie – comme l’immense majorité de la famille judiciaire – de « néfaste ». Bon nombre de policiers de la PJ se sont mobilisés et avec des magistrats, ont même dénoncé dans la presse « une véritable catastrophe » qui complexifie le travail permettant de lutter contre la délinquance et la criminalité.

Cette réforme, l’ancien ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin l’a malgré tout imposée.

Un an seulement après son application, le Procureur Général de la Cour d’Appel de Versailles, Monsieur Marc CIMAMONTI, s’est déclaré défavorable à cette réforme de la PJ déplorant que les objectifs fixés n’étaient pas atteignables, et que les affaires économiques et financières allaient être délaissées.

Avec une PJ éclatée au niveau des départements, aucun lien avec les collègues des autres départements limitrophes, pas d’infos sur ce qu’il s’y passe, aucune coordination. Et à cause de ce manque d’informations et de coordination, « on a du mal à cibler les équipes criminelles à un niveau supra départemental » ajoute le Procureur sus nommé.

C’est donc un fiasco total dans la maison « Police » exception faite peut être de certains commissaires puisque grâce à cette réforme, bon nombre d’entre eux se sont retrouvés d’un claquement de doigt parachutés « Directeurs départementaux " et parlent maintenant d’égal à égal avec des Préfets. Une vieille mode dans la Police pour faire passer des dispositions purement politiques basées sur la performance et le rendement : diviser par la " galonnite " et le saupoudrage d'avancées catégorielles pour mieux régner.

Messieurs les Ministres, la lutte contre la délinquance et la criminalité ne se joue pas qu’au niveau d’un département. Quand on répond à un magistrat qu’une enquête à portée nationale ou internationale n’avance pas ou pas assez vite parce qu’on a d’autres priorités départementales à gérer, ce n’est pas satisfaisant.

Avoir autant de chefs que de départements, c’est totalement incompréhensible et c’est une nouvelle forme de fragmentation du Service Public de Sécurité. S’il n’y a pas une seule autorité unique centrale spécialisée pour coordonner l’ensemble des nombreux dispositifs mis en place, c’est l’échec assuré !

Cette réforme PJ de MM Darmanin et Retailleau s'inscrit donc dans l'affaiblissement généralisé des Services Publics par l'ultra droite et le " Illibéralisme". Pour faire simple et pour les non initiés, la réforme va diviser toujours plus l’institution et transformer les anciens « spécialistes PJistes " en « généralistes ». Ces derniers, compte tenu de la paupérisation depuis des années de la filière investigation au sein de la Sécurité Publique, vont être mis à contribution afin de pouvoir écluser les 2 700 000 dossiers en souffrance relevant de la petite et moyenne délinquance.

Les victimes, elles, faute d’attractivité et de moyens donnés à la filière « investigation », vont devoir attendre encore et toujours surtout lorsque les faits, comme pour la récente affaire Betharam, sont lointains et ne sont pas encore, faute d'être traités, prescrits !

En clair, on ponctionne dans la PJ des effectifs pour pourvoir aux manques de moyens et d'effectifs de la Direction de la Sécurité Publique ! On racle les fonds de tiroir pour parer au plus pressé et à l’émotion. Comme à l’accoutumée, on déshabille Paul, pour habiller Pierre !

Avec la réforme, ce n’est pas la grande délinquance ou les cols blancs qui vont souffrir. Il sera, de l’avis de tous les spécialistes sérieux de ces questions, de plus en plus difficile de réaliser des " coups de filets" comme celui du dossier Amra.

On est donc en train de casser, avec cette réforme, une machine rodée et performante en matière de grande criminalité : la Police Judiciaire. Compte tenu de l’hypocrisie ambiante, il ne serait pas surprenant que l’on aille, à grands renforts de liens dans des médias complaisants, pour les besoins d’une bonne récupération politique, décorer théâtralement quelques enquêteurs méritants.

Quand la lutte contre l’insécurité devient au-delà de tout pragmatisme et de tout professionnalisme un spectacle, il faut s’attendre à toutes les extravagances.

Dorénavant, avec la réforme DARMANIN RETAILLEAU, les priorités politiciennes du ministère primeront : la lutte contre l’immigration clandestine, les petits deals d’immeubles et l'interpellation des fumeurs de joints. Plus généralement, la politique du chiffre passera avant le démantèlement des filières internationales de trafic et avant la lutte contre le grand banditisme.

En réalité, ce qui a été présenté comme une simple réorganisation administrative de la Police Nationale, affectera profondément le fonctionnement de la police judiciaire puisque le texte de la loi du 24 janvier 2023 prévoit expressément que « le directeur unique de la police » a l’échelle du département (Le Directeur Départemental de la Police Nationale) pourra allouer les forces et les moyens " en fonction des priorités opérationnelles". Et ni le Procureur de la République, ni les juges d’instruction, en vertu de cette loi, ne pourront s’y opposer. Même la Justice sera affectée et mise au pas ! Et son principe d’indépendance et d’impartialité va être incroyablement impacté. Comment fera un jusge d’instruction s’il n’a pas de flics disponibles pour aller perquisitionner le siège d’un parti ou le mécène de ce parti ?

Cette réforme, « c’est une véritable catastrophe pour la place institutionnelle de l’autorité judiciaire et pour la conduite des investigations en matière criminelle ou de délinquance organisée" dixit la juge Judith ALLENBACH, Présidente du Syndicat de la magistrature.

Une nouvelle fois, les policiers, en l’occurrence ceux de la PJ, vont être transformés en « machines à produire ». La quantité du travail fourni, pour eux comme pour tous les autres policiers, primera sur la qualité.

Le mardi 25 février, une vingtaine de personnes ont été placées en garde à vue depuis l'arrestation du fugitif, le 22 février dernier, en Roumanie. Plus précisément, la procureure de la République de Paris, Laure BECCUAU faisait état de 25 personnes en garde à vue au total, sept femmes et 18 hommes âgés entre 16 et 37 ans. Toutes ces interventions (interpellations, perquisitions…) se sont déroulées en région parisienne, dans le grand ouest du pays, au Maroc, en Espagne ou aux Pays Bas.

Ce genre d’opération se gère au niveau interrégional, national et international. Or la réforme « DARMANIN RETAILLEAU » a désormais placé tous les services de police du département - renseignement, sécurité publique, police aux frontières et PJ - sous l’autorité d’un seul directeur départemental de la police nationale, dépendant lui-même du Préfet. Concentrer tous les services de police sur la délinquance quotidienne d’un département, n’a pas de sens, sauf celui de pouvoir actionner politiquement plus facilement un fonctionnaire aux ordres.

Le manque d’attractivité et même la désaffection pour la filière judiciaire et l’investigation demeurant une constante, plutôt que de renforcer le dispositif de lutte anti criminalité existant, voire de créer une Direction Générale de l’Investigation indépendante de la Direction Générale de la Police Nationale, la réforme crée des « baronnies » qui vont avoir pour mission de satisfaire la manipulation mentale politico médiatique de l’instant.

Avant cette mise à mort de la PJ, il existait neuf directions interrégionales et trois directions régionales de la police judiciaire, pilotées par une dizaine de commissaires qui dépendaient du seul Directeur Central de la Police Judiciaire (DCPJ). Aujourd’hui, il y a 90 « mégas directeurs départementaux », qui vont devoir être spécialistes dans tous les domaines et dépendront du Préfet.

Depuis neuf mois, 150 enquêteurs de la Police Judiciaire, de l’Office central de lutte contre le crime organisé et de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), ont été mobilisés à temps plein sur la traque de Mohamed AMRA. Ce travail a été mené par la DCI (Direction de la Coopération Internationale), réseau de coopération internationale « Police Gendarmerie », qui nous permet d’avoir un contact direct dans chaque pays. Un service que je connais particulièrement bien puisque j 'y ai été rattaché à Bamako pendant six ans.

Je m'étonne qu'aucun contradicteur ne soit présent sur les plateaux télés et ne ramène nos grands politiciens répressifs, spécialistes en manipulation des foules et en récupération, à un peu plus de décence.

Affaire Amra : Messieurs Retailleau et Darmanin, un peu de modestie s’il vous plait

● Drogues● Gouvernement● Police

Justice : Le blues de l’anticorruption

● Drogues
● Gouvernement
● Police