Cher Jordan Bardella,

Quelle semaine !

Lundi 31 mars, Marine Le Pen, candidate présumée à la prochaine élection présidentielle pour représenter le Rassemblement national que vous présidez, était reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée, en première instance, à quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, bravo à toute l’équipe, ça y est elle l’a son quinquennat. Au total, ce sont pas moins de 24 membres du RN qui ont été sanctionnés, parmi lesquels des personnalités de premier plan comme Louis Aliot, Bruno Gollnisch, Nicolas Bay, Julien Odoul ou Wallerand de Saint-Just, une bien belle brochette, le parti étant quant à lui condamné, en tant que personne morale, à deux millions d’euros d’amende, dont un million ferme, auxquels s’ajoute la confiscation d’un million d’euros saisis pendant l’instruction, au bowling on appelle cela un strike.

Dix jours plus tôt, dans une affaire collatérale à celle dite « des assistants parlementaires », on apprenait que vous aviez perdu votre procès en diffamation contre le journal Libération, décidément, à l’occasion d’une procédure dans le cadre de laquelle vous aviez décidé de porter plainte contre le titre — et non le contenu — d’un article publié le 26 septembre 2023, c’est original et, vous l’avouerez, pas très courageux. Une petite manœuvre qui a été aussi sournoise que vaine puisque la justice a considéré que parler de « Jordan Bardella, l’assistant parlementaire fantôme passé entre les gouttes de la justice », puisque tel était le titre incriminé, n’entrait pas dans le cadre de la diffamation, une information intéressante lorsque l’on sait que vous avez, de fait, été épargné par le procès dont le retentissant verdict a fait l’actualité toute la semaine.

Car vous fûtes vous aussi, cher Jordan Bardella, l’un de ces nombreux assistants parlementaires aux fonctions pour le moins obscures, voire, puisque la justice autorise à le dire, fantômes, au sein du système mis en place par le FN/RN pour détourner l’argent du Parlement européen au profit du parti, lequel rémunérait des permanents en les faisant passer pour des assistants parlementaires, ça se voulait sûrement très malin mais c’est surtout très illégal et ça s’est très vu. L’absence de poursuite contre vous dans le cadre du procès qui s’est conclu cette semaine ne signifie ainsi nullement que vous n’avez pas trempé dans la combine mais, pour reprendre les termes de Tristan Berteloot, journaliste de Libération qui a enquêté sur vous, que « les enquêteurs ne se sont pas arrêtés sur tous les cas, notamment ceux qui avaient travaillé pour une courte période, pour un salaire peu important, surtout pour les assistants à mi-temps où c’est encore plus compliqué de prouver un emploi fictif », ce qui correspond à votre situation, coup de chance.

Votre courte carrière d’assistant parlementaire fantôme mérite toutefois que l’on s’y arrête, en commençant par la personnalité du député pour lequel vous êtes supposé avoir travaillé du 16 février au 30 juin 2015, Jean-François Jalkh, figure historique mais pas forcément très médiatique du RN qui n’a été épargnée par le récent procès que pour raisons de santé. Ce charmant individu, qui fut un temps pressenti pour prendre la présidence par intérim du FN durant la campagne présidentielle de 2017, s’était notamment distingué par des déclarations négationnistes (« D’un point de vue technique il est impossible, je dis bien impossible, d’utiliser [le Zyklon B] dans des […] exterminations de masse. »), c’est original, par de multiples articles dans National hebdo, sous le pseudonyme de Philippe Chevalier, venant notamment alimenter la très subtile rubrique « Les envahisseurs », parfois agrémentée du mot d’ordre « Ras le beur », c’est bien noté, ainsi que par quelques abjections comme lorsqu’il écrivit à propos de Simone Veil que « d’aucuns s’étonnent même qu’une victime de l’holocauste nazi officialise le génocide des Français à naître », no comment.

On ne pourra certes pas vous reprocher d’avoir trop côtoyé, au Parlement européen en tout cas, ce délicieux personnage, une autre de ses assistantes parlementaires ayant même déclaré aux juges, lors de l’enquête, avec une confondante sincérité, ce qui suit : « Vous m’apprenez que Jordan Bardella était assistant parlementaire en même temps que moi, je n’ai jamais travaillé avec lui », ça a le mérite d’être clair. Ce qui ne vous a pourtant pas empêché de contribuer aux magouilles organisées par le RN pour tromper la justice en faisant croire aux enquêteurs que les assistants parlementaires fantômes auraient réellement travaillé pour « leur » député européen, au moyen notamment de l’établissement de fausses preuves de travail, c’est du joli. Et c’est ainsi que vous avez accepté de parapher une revue de presse que vous auriez prétendument établie entre février et juin 2015 alors qu’elle a été réalisée par un autre que vous en décembre 2017, ou que vous avez rempli un agenda de l’année 2015 qui fut en réalité acheté par le RN en 2018 pour le verser, a posteriori, à votre dossier bidon : c’est ce qu’on appelle des documents antidatés, en d’autres termes des faux, quand on passe son temps à donner des leçons de « respect de la loi » ça la fout un peu mal quand même.

Loin de nous l’idée d’affirmer ici que vous n’auriez pas, entre février et juin 2015, consacré l’essentiel de votre temps à la diffusion des idées néofascistes du RN et à la construction du parti, bien au contraire. En épluchant votre compte X sur cette période, on se rend en effet compte, et c’est le moins que l’on puisse dire, que vous n’avez pas démérité, le seul souci étant que tout cela n’avait absolument rien à voir avec une quelconque activité d’assistant d’un député au Parlement européen. Nos lecteurs et lectrices fidèles savent que l’une de nos activités favorites, bien qu’elle soit particulièrement pénible, est de scroller les comptes des destinataires de nos missives, ce qui nous apporte parfois de désarmantes surprises, comme ce fut le cas avec le remarquable chroniqueur de CNews Kevin Bossuet (1), ou ce qui peut parfois au contraire confirmer certaines de nos hypothèses, comme cela a été le cas avec vous. Pour la faire simple : entre le 16 février et le 30 juin 2015, autrement dit les dates bornant votre « contrat », vous avec publié pas moins de 635 posts, soit environ cinq par jour, relatant vos diverses activités politiques, et aucun d’entre eux n’a le moindre rapport avec le Parlement européen, le député Jean-François Jalkh ou une quelconque présence dans la circonscription dans laquelle il a été élu, on s’y attendait mais vous avouerez quand même que c’est ballot.

Le 16 février, début de votre « emploi » d’assisté parlementaire, fut en revanche, coïncidence, le jour où vous avez déposé les candidatures du FN pour les élections départementales en Seine-Saint-Denis, tout cela est quand même bien fait, trois jours avant que le parti ne publie un nouvel organigramme dans lequel vous figuriez en tant que « chargé de mission » au sein du pôle « veille et prospective », une bien belle promotion pour le jeune de 20 ans que vous étiez mais qui n’avait, là encore, rien à voir avec un quelconque emploi d’assistant parlementaire, pas plus que votre présence le 21 février à la « commission de propagande à la préfecture de Bobigny pour les 21 cantons de Seine-Saint-Denis », n’hésitez pas à supprimer vos tweets. Bref : le FN/RN a détourné des fonds publics et vous avez été payé avec de l’argent volé, qui semble notamment avoir servi à vous salarier à temps plein pour mener la campagne des élections départementales des 22 et 29 mars 2015 (102 publications concernant ces élections entre le 16 février et le 30 mars), mais jusqu’à présent vous êtes passé au travers des mailles du filet, tant mieux pour vous mais pas certain que ça dure.

Et puisqu’on ne change pas une équipe qui gagne, l’assistant parlementaire fantôme que vous fûtes est devenu quelques années plus tard, si l’on en croit les statistiques d’activité au Parlement européen, un député fantôme, auteur de 21 amendements en cinq ans (2019-2024) contre, par exemple, 3460 pour la députée LFI Manon Aubry ou 1200 pour le LR François-Xavier Bellamy, et membre de la seule commission des pétitions, réputée la moins active du Parlement et à laquelle vous n’avez participé que « lors de réunions accessibles à distance, entre 2020 et 2022, en raison de la pandémie de Covid-19 », on espère que l’on ne vous dérange pas trop. Un spectre hante le Parlement européen, il s’appelle Jordan Bardella : une présence-absence qui vous a valu le doux surnom de Jordan Bardé-pas-là, on avait dit qu’on ne se moquait pas des prénoms mais là c’est votre nom et c’est un peu rigolo donc ça passe, et très franchement vous ne l’avez pas volé au regard, également, de votre assiduité au Conseil régional d’Île-de-France, avec un taux d’absentéisme de 100% au cours du premier semestre 2022, félicitations, vous n’aviez pas autant brillé depuis la fac.

Pour le dire sans ambage, cher Jordan Bardella, nous n’avons pas l’âme d’un surveillant d’internat et vos absences on s’en ficherait un peu si l’on ne parlait pas d’un petit fasciste au look de premier de la classe qui passe sa vie à se poser en élève modèle et en donneur de leçons, toujours prompt à critiquer les errements réels ou supposés des autres responsables politiques. Ces derniers ne l’ont bien souvent, sur le principe, certes pas volé, mais vous avouerez que vos états de service ne vous autorisent guère à donner des cours de savoir-vivre à qui que ce soit, a fortiori depuis la récente condamnation de votre parti et de 24 de ses membres dans une affaire de détournements de fonds publics. Nombreuses et nombreux ont ainsi été celles et ceux qui n’ont pas manqué de se souvenir de l’interview de novembre dernier sur BFM-TV au cours de laquelle vous aviez affirmé que « ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire est pour [vous] une règle numéro un lorsqu’on souhaite être parlementaire de la République », une déclaration qui a très vite et très mal vieilli, à l’instar de votre inoubliable prophétie de mai 2020 : « Didier Raoult est peut-être à la médecine ce que nous sommes à la politique », bien vu.

La mauvaise passe traversée par l’auto-proclamée « candidate naturelle » de l’extrême droite a relancé les supputations quant à votre avenir politique, certains vous voyant déjà comme le Grand remplaçant d’une Marine Le Pen dont les chances de pouvoir se présenter à la présidentielle sont désormais aussi minces qu’une revue de presse réalisée par l’assistant parlementaire Jordan Bardella. Mais la tâche s’annonce ardue, quand bien même vous auriez déjà commencé à préparer le terrain en constituant vos propres réseaux et en plaçant des proches à vous dans l’appareil du mouvement que vous présidez, tant on sait que vous ne faites pas l’unanimité au RN, un parti au sein duquel vous n’êtes en outre pas le seul à avoir les dents longues, et tant le mouvement semble dans l’incapacité de se projeter dans un quelconque « plan B » auquel sa cheffe ne l’a pas préparé et dont elle ne veut pas entendre parler, comme vous l’avez d’ailleurs confirmé sur LCI jeudi 3 avril : « Il n’y a pas de plan B car le plan A n’a pas été mené à son terme. Nous allons démontrer notre innocence pour que les Français ne soient pas privés de leur candidate », amen.

Au cours de la même interview, remarquons au passage que le groupe Bouygues, entre cet entretien en grande pompe sur LCI et le 20h de TF1 pour Marine Le Pen dès le soir de sa condamnation, semble particulièrement déterminé à faire entendre vos critiques d’une « justice politique » à l’heure où Nicolas Sarkozy, grand ami de Martin Bouygues qui fut même son témoin de mariage, attend le verdict du procès des financements libyens, tout ceci n’est sans doute qu’une coïncidence, vous avez lourdement signifié votre fidélité à l’héritière Le Pen en affirmant ce qui suit : « Je suis à son service et je ferai ce qu’elle me demandera de faire », c’est beau. Ce faisant, vous avez confirmé votre loyauté absolue vis-à-vis de celle qui vous a propulsé à la tête du parti en 2021, faisant alors de vous le président par intérim du RN avant que vous en deveniez le président tout court un an plus tard, certaines mauvaises langues affirmant que le choix de Marine Le Pen s’était porté sur un jeune premier sans épaisseur politique et donc à la main de la seule véritable cheffe du mouvement, bande de jaloux.

Il faut dire que, dans un parti où les « numéros deux », de Bruno Mégret à Florian Philippot en passant par Bruno Gollnisch, ont régulièrement fini par être victimes des foudres du patriarche ou de sa fille, vous aviez donné des gages, à commencer par le plus important de tous dans le clan Le Pen : faire partie de la famille. Nous n’avons pas coutume de nous intéresser à la vie privée des destinataires de nos missives, mais en ce qui vous concerne nous ne sommes pas les seuls à penser que, comme dans le cas de Louis Aliot, qui occupa le poste de vice-président du FN (2011-2018) alors qu’il était le compagnon de Marine Le Pen, le monde est petit, le fait que vous ayez été durant quatre années en couple avec Nolwenn Olivier, laquelle n’est autre que la fille de Marie-Caroline Le Pen, en d’autres termes la nièce de Marine, la petite-fille de Jean-Marie et la cousine de Marion, quelle famille, a joué en la faveur de votre fulgurante ascension au sein de la PME familiale qu’est le FN/RN. Les repas du dimanche à Montretout ça devait vraiment être sympa.

L’autre atout que vous avez su valoriser est votre trajectoire personnelle, en tout cas certains aspects de celle-ci, on y reviendra, en surinvestissant le rôle de « jeune-issu-des-classes-populaires-qui-a-grandi-en-banlieue-et-qui-en-a-eu-marre-de-cette-bande-de-racailles », ainsi que vous l’avez expliqué à de multiples reprises : « Je fais de la politique pour tout ce que j’ai vécu là-bas. Pour que cela ne devienne pas l’apanage de la France entière. Car ce qui se passe là-bas n’est pas normal. » Quitte à en rajouter un peu beaucoup, en affirmant par exemple que la ville de Saint-Denis, où vous avez en partie grandi, a été transformée « en terreau islamiste, livrée aux crimes et aux trafics », rien que ça, ou comme c’est le cas avec votre récent ouvrage Ce que je cherche, une supposée autobiographie dans laquelle vous décrivez la Seine-Saint-Denis comme une vaste zone de non-droit, à grands renforts d’anecdotes invérifiables mais toutes plus inquiétantes les unes que les autres : « Un soir, en rentrant du lycée, je découvris un homme qui convulsait au milieu du couloir, une seringue vide à ses côtés. J’étais terrifié. Une autre fois, je déjeunais avec ma mère dans la cuisine lorsque nous avons entendu des coups de feu : deux garçons en scooter tiraient sur un troisième, affalé à terre. Les taches de sang qui se répandaient sur le sol étaient visibles depuis l’étage où nous nous trouvions. Nous vivions un cauchemar. La sérénité nous était inconnue. » Et toutes nos condoléances à la littérature.

Cher Jordan Bardella, vous n’avez certes pas, contrairement à votre cheffe, grandi dans l’opulence, mais la crédibilité de votre personnage du pauvre petit blanc revenu des enfers du 93 laisse tout de même à désirer. Plusieurs enquêtes ont ainsi établi que la « version officielle » de votre enfance/adolescence malheureuse avait plus à voir avec le storytelling qu’avec la réalité, pointant notamment quelques judicieuses omissions, ainsi que le rappelait par exemple, lors de la dernière campagne des européennes, le journaliste Pierre-Stéphane Fort, auteur d’un livre qui vous est consacré : « Bardella a fréquenté des écoles privées essentiellement catholiques [école Saint-Vincent-de-Paul puis collège-lycée Jean-Baptiste-de-La Salle]. Lorsqu’il était adolescent, son père [chef d’entreprise] l’a emmené faire un long voyage aux États-Unis. À 19 ans, son père lui a acheté une Smart. À 20 ans, il a offert à son fils un appartement dans une banlieue parisienne aisée du Val d’Oise. » Voilà qui contraste, chacun l’avouera, avec vos déclarations de Gavroche (« Comme beaucoup de familles, beaucoup de gens qui vivent dans ces quartiers, j’ai été confronté à la violence, aux fins de mois difficiles »), également pulvérisées par un article publié dans le Monde : « La cité Gabriel-Péri [à Saint-Denis] semble n’avoir été pour Jordan Bardella qu’un poste d’observation, une expérience qu’il a ensuite fait fructifier politiquement. Car sa scolarité, ses engagements sportifs ou associatifs, ce fils unique de parents très tôt séparés les a vécus ailleurs. Il a grandi, une partie des week-ends, chez son père, dans des quartiers plus aisés du Val-d’Oise, à Montmorency et Deuil-la-Barre. C’est là-bas, loin de Saint-Denis, qu’il s’est essayé au football puis à l’aïkido. » Pauvre Jordan.

Nous ne savons pas si c’est votre père qui vous a donné l’esprit d’entreprise, mais de toute évidence la Smart et les week-ends à Montmorency vous ont davantage marqué que la relégation, la précarité et la misère dans les quartiers populaires, puisque vous vous plaisez à affirmer que « la vraie pauvreté est dans les campagnes en France » et que « dire que tous ces quartiers sont oubliés, abandonnés, c’est totalement faux » tout en n’hésitant pas, dans le même temps, à voler au secours des grands patrons lorsque le gouvernement du bolchevik François Bayrou envisage une surtaxe pour les plus grosses entreprises : « J’ai entendu le cri d’alarme il y a quelques jours de Bernard Arnault, comme j’entends depuis des années le cri d’alarme des petits patrons français, des petits chefs d’entreprise. Quand du plus petit boulanger de la Marne jusqu’à Bernard Arnault, un dirigeant d’entreprise, c’est-à-dire quelqu’un qui prend des risques, qui entreprend, qui investit, qui se lève parfois très très tôt, bien avant ses salariés, et qui vient dire aujourd’hui "C’est un enfer à la fois fiscal et normatif de travailler et d’investir en France", on ne peut pas être sourd à ce cri d’alarme. » OK Robin des bois.

L’autre légende vous concernant est celle accompagnant le récit de la « dédiabolisation » du FN/RN, au sein duquel votre look de jeune premier a fait fureur, si l’on puit dire, ostensiblement à rebours du folklore des skinheads arborant tatouages et crânes rasés. Mais là encore, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour constater — ô stupéfaction — que, loin d’incarner une quelconque rupture avec les idées et mœurs des groupuscules d’extrême droite les plus radicaux, votre accession à la présidence du RN s’est faite avec le soutien et la bénédiction de la « GUD connexion » et que vous vous êtes rapidement entouré de personnages aussi sympathiques que Donatien Veret, fan d’Alain Soral et autres auteurs antisémites, Pierre-Romain Thionnet, ex-chef de la Cocarde étudiante et adepte du coup de poing ou encore Julie Rechagneux, compagnonne de route d’un groupuscule néonazi dissous pour cause « d’idéologie xénophobe et d’appel à la haine et à la violence », une fort aimable équipe. Le tout en n’hésitant pas dans le même temps à déclarer que « les gens qui ont une nostalgie radicale, ou une idéologie radicale, n’ont pas leur place au sein du RN » et que « cette mouvance radicale conteste le fonctionnement de la démocratie, de la République, et même de la légitimité de Marine Le Pen et du RN [et qu’ils] sont donc des ennemis de notre famille politique », quel talent.

Nul besoin de beaucoup fouiller pour constater, en outre, que vous n’avez éprouvé aucune difficulté à faire vôtres les fondamentaux du FN/RN, qu’il s’agisse de l’obsession de l’immigration (« Sur la question de l’immigration, Jean-Marie Le Pen avait peut-être tout vu avant tout le monde »), de l’islamophobie (« Le gouvernement reste passif devant la constitution de Républiques islamiques en miniature, il est urgent d’interrompre cette conquête de nos territoires ») ou de la haine de la gauche sociale et politique (« La gauche et l’extrême gauche représentent un danger pour la cohésion nationale »). Des convictions qui viennent de loin, comme en témoignent certaines de vos publications de jeunesse, de vos amabilités à destination d’Europe-Écologie (« EÉLV est un groupuscule de talibans libertaires. C’est tout sauf de l’écologie ») à votre enthousiasme à l’égard d’Éric Zemmour (« Les interventions mesurées de Zemmour sont remarquables ») en passant par vos louanges pour une interview d’Aymeric Chauprade, alors député européen FN, au cours de laquelle il développait la thèse raciste-complotiste du « Grand remplacement » (« Le modèle d’assimilation s’efface devant une logique de remplacement des Français, qu’ils soient d’ailleurs de souche ou assimilés, par des communautés étrangères. »).

Au carrefour de votre histoire familiale et de vos convictions, il y a vos origines, que vous aimez mettre en avant, comme lorsque vous affirmez être « un enfant de l’immigration, un Français de sang-mêlé, à 75% italien », affrontant l’apparent paradoxe entre, d’une part, votre filiation et, d’autre part, vos positions politiques, au moyen d’une distinction entre les « bons » et les « mauvais » immigrés, c’est astucieux : « Lorsque je parle d’immigration, les journalistes et mes adversaires me font remarquer, en pensant souligner une contradiction, que Bardella, c’est d’origine immigrée. Alors effectivement, Bardella, c’est d’origine italienne. Mais comme beaucoup de Français issus de l’immigration, mes parents sont issus d’une génération, qui elle, s’est intégrée, s’est assimilée, qui a travaillé dur, qui aimait la France et qui voulait en être partie intégrante comme les ancêtres qui l’ont précédée ! » Et c’est ainsi que vous avez poussé l’abnégation jusqu’à tenter de dissimuler une partie de vos aïeux, en omettant toujours soigneusement de souligner que l’un de vos arrière-grands-pères était quant à lui un travailleur immigré algérien qui s’est installé dans la région lyonnaise au début des années 1930, une part de votre histoire qui ne cadrait pas avec votre discours hostile aux immigrés non-européens — et à leurs descendants — et que vous avez donc choisi, quelle élégance, de rayer de la carte.

À cet égard comme à bien d’autres, vous aviez bien toute votre place la semaine dernière en Israël, à l’invitation d’un gouvernement suprémaciste dont le projet est l’effacement de tout un peuple et de son histoire, dans le cadre d’un échange de bons procédés par lequel un pouvoir génocidaire s’assure du soutien de forces politiques d’extrême droite tandis que ces dernières se voient décerner des brevets de « remparts » face à l’antisémitisme, si ce n’était pas aussi tragique on aurait envie d’en rire. Mais rien de tout cela n’est drôle, et nous n’arrivons pas davantage à sourire lorsque l’on vous entend débiter de monumentales âneries du style « Quand tu ne commets pas de refus d’obtempérer, tu n’es pas contrôlé par la police », ne pas hésiter à relire plusieurs fois cette phrase pour bien comprendre qu’il n’y a rien à y comprendre, lorsque l’on apprend que vous avez raté le concours d’entrée à Sciences Po car vous aviez décidé de faire « l’impasse sur la Guerre d’Algérie », ça ne s’invente pas, ou lorsque vous vous faites humilier au Parlement européen alors que vous tentez de faire un « rappel au règlement » sur la base d’un article que nous n’avez visiblement pas lu, pour une fois que vous étiez présent c’est un peu dommage, mais ceci explique sans doute cela.

Nous n’avons pas envie de rire, cher Jordan Bardella, car vous n’êtes au total rien d’autre que l’une des incarnations les plus visibles d’une extrême droite férocement à l’offensive, dont la résistible ascension détruit chaque jour un peu plus, avec la complicité des partis dits « républicains », les droits démocratiques et les libertés publiques, en premier lieu des minorités, et dont l’accession au pouvoir serait synonyme de mise à exécution de bien davantage de menaces. Stigmatiser, brutaliser, voler, mentir, tricher : vous avez bien retenu la leçon de vos mentors et êtes en ce sens un de leurs plus dignes héritiers. C’est pourquoi, même s’il ne s’agit pas d’exclure l’hypothèse que certains décident que la crise ouverte par la condamnation de Marine Le Pen est le moment opportun pour se débarrasser de vous, auquel cas on ne vous regretterait pas, nous vous prenons au sérieux, a fortiori dans un contexte international où la prime semble être donnée à l’alliance de la haine, de la servilité et de la médiocrité.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) Kevin Bossuet a supprimé, au total, près de 10 000 tweets après la publication de notre texte : il y en a qui ont visiblement beaucoup de choses à se reprocher.

Cher Jordan Bardella - Boxing Day #27

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