Cher Louis Sarkozy,

Quelle semaine !

Dimanche 6 avril, l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, dans lequel vous publiez une chronique depuis janvier, félicitations, mettait en ligne une longue — et forcément passionnante — interview de vous, au début de laquelle vous êtes présenté comme « un garçon drôle, provocateur, charmant », sans doute une référence à votre récent appel à « brûler l’ambassade d’Algérie » en réaction à l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal, c’est vrai que c’est charmant. Le directeur de la rédaction Tugdual Denis, qui déclarait récemment que « Marine Le Pen sera, pour l’éternité, une femme politique martyre », rien que ça, a tenu en outre à insister sur le fait que vous seriez « un jeune homme pressé et cultivé, bouillonnant et attachant », probablement un hommage à vos propos du 26 septembre sur LCI au sujet des bombardements israéliens sur le Liban : « Qu’ils crèvent. Israël fait le travail de l’humanité ici, absolument aucun remords à ce niveau-là, qu’ils crèvent tous ». Attachant.

Tout le monde ne semble cependant pas avoir apprécié à leur juste valeur vos incitations à incendier l’ambassade d’Algérie, à commencer par le pays concerné qui a déposé une plainte contre vous auprès d’une juridiction française. De son côté, l’association SOS Racisme a adressé un signalement au procureur de la république, dénonçant « une incitation explicite à un acte criminel de destruction par incendie », ce qui n’est pas franchement faux, tandis que les députés LFI ont saisi le procureur général près la Cour de cassation sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, avançant que « la provocation publique, qu’elle soit suivie d’effet ou non, d’infractions telles que les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes sont […] visées par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse », affaire à suivre donc. On ne sait pas encore s’il y aura des suites judiciaires mais nul doute que si tel était le cas votre papa pourrait être fier de son digne rejeton.

Certains se sont étonnés, suite à la publication, le 13 février dans le cadre d’un portrait réalisé par le Monde, de ces menaces fort peu diplomatiques, qu’elles n’aient guère eu d’écho médiatique et/ou politique, et ont même osé tenter une comparaison d’actualité en se prenant à imaginer ce qui ce serait passé si, par exemple, un chroniqueur réputé proche de la gauche avait, par exemple, affirmé qu’il faudrait brûler l’ambassade d’Israël eu égard, par exemple, à la tragédie de Gaza. Nul besoin d’être scénariste de film de science-fiction pour comprendre que de tels propos auraient été suivis de la mise en route d’une mécanique désormais bien rodée : campagne orchestrée par les médias Bolloré, reprise dans les autres médias, réactions politiques outragées. En ce qui vous concerne, rien de tout cela ne s’est produit, et force est même de constater que, dès le départ, le Monde et l’autrice de l’article n’ont pas jugé bon de commenter vos outrances, lesquelles ont été publiées, pour citer le journaliste de Beur FM Azzeddine Ahmed-Chaouch, « comme un élément de portrait classique traditionnel », pas de quoi fouetter un chat en somme.

Nous devons avouer, cher Louis Sarkozy, que nous ne sommes pas forcément convaincus de la justesse d’une telle comparaison qui, quand bien même elle permettrait d’illustrer de manière frappante le « deux poids deux mesures » à l’œuvre dans les champs politique et médiatique en France, ne rend pas forcément compte de la profondeur de la pensée du cultivé, charmant et attachant personnage que vous êtes, on y reviendra, ni de la réalité de la situation catastrophique à Gaza. Nous ne doutons certes pas du fait qu’il y a bien des raisons de dénoncer le régime algérien, entre autres et notamment en raison du traitement violemment répressif qu’il impose à ses opposants, mais nous ne sachons pas que l’Algérie serait en train de mener une guerre génocidaire ayant entraîné plus de 50 000 morts en l’espace de 18 mois, soit près de 100 victimes quotidiennes en moyenne, dont au moins 15 000 enfants, soit près de 30 par jour, avec l’appui diplomatique et militaire de la plupart des grands pays occidentaux, y compris la France.

Quoi qu’il en soit, le moins que l’on puisse dire est que vous n’avez jusqu’ici guère été inquiété par vos déclarations agressives et menaçantes, lesquelles n’ont en outre pas semblé déranger vos divers employeurs, que l’on regarde du côté de Valeurs actuelles où l’on a, semble-t-il, tellement apprécié vos propos que vous avez pu y publier, fin mars, une « lettre au peuple algérien », insérée dans un numéro faisant sa « Une » sur « le poison algérien », tout simplement, ou du côté de LCI qui vous a même récompensé en vous attribuant un « débat » chaque samedi avec l’ex-députée insoumise et habituée des plateaux Raquel Garrido, bravo à vous. Une bien belle promotion pour celui qui était jusqu’ici surtout connu pour avoir été pistonné afin de rentrer dans un fort réputé collège-lycée français à Londres, pour avoir lancé des billes et une tomate sur une policière en faction devant l’Élysée et pour avoir expliqué que vivre durant plus de six mois avec son épouse dans un hôtel de luxe (le Fairmont à Washington) était « une expérience fascinante », on espère que vous vous en êtes remis.

LCI et vous, c’est toute une histoire, puisque la chaîne d’information du groupe TF1 a largement contribué à vous donner une visibilité médiatique en faisant de vous, suite à une première invitation en avril 2024, l’un de ses intervenants récurrents, jusqu’à vous offrir, donc, depuis le 8 mars, une tribune hebdomadaire. Aucun lien, bien évidemment, avec le fait que la chaîne soit la propriété du milliardaire Martin Bouygues, qui fut notamment le témoin de mariage de l’un de ses proches nommé Nicolas Sarkozy, et qui n’est autre que votre parrain, il faudrait vraiment être mauvaise langue pour y voir autre chose qu’une coïncidence. Si LCI est venu vous chercher l’année dernière ce serait, à en croire le présentateur Darius Rochebin qui, selon la légende, vous aurait « repéré » sur X (ex-Twitter), parce que vous résidez à Washington et étiez donc, à ce titre, particulièrement qualifié pour commenter les enjeux et les actualités de la campagne présidentielle aux États-Unis. Et c’est ainsi que, petit à petit, les invitations à intervenir sur LCI se sont multipliées, lors desquelles vous avez pu être présenté comme « essayiste, vivant à Washington [et] connaissant bien les Américains », vous les saluerez de notre part, jusqu’à vous retrouver, lors de l’élection de Donald Trump, à l’antenne durant pas moins de 14 heures entre le 3 et le 6 novembre, quel talent.

Il faut dire que vous avez d’immenses compétences, comme l’explique de façon particulièrement convaincante le même Darius Rochebin : « Il s'est avéré que Louis avait une très grande culture générale, qu'il passait bien à l'antenne, qu'en plus d'être branché sur l'actu en permanence, il pouvait manier à chaud des références historiques, comme lors de la tentative d'attentat contre Trump [en juillet 2024], où il nous a raconté celle contre Ronald Reagan. » Évoquer, à l’occasion d’une tentative d’assassinat contre un responsable politique étatsunien de haut rang, une précédente tentative d’assassinat contre un responsable politique étatsunien de haut rang : c’est vrai qu’il fallait y penser. On n’en attendait pas moins d’un spécialiste renommé des États-Unis capable de confondre la Cour suprême et le Congrès ou de prétendre que « la majorité des médias américains sont soit relativement objectifs, soit strictement hostiles à Israël », défense de rire. Une grande expertise qui méritait d’être saluée par le Figaro, propriété de la famille Dassault, dont le patriarche Serge fut également un soutien et un ami de votre paternel, et dans lequel vous publiez aussi régulièrement des chroniques, décidément le monde est petit.

Et comme vous n’êtes pas seulement très cultivé et fort attachant mais aussi particulièrement généreux, vous n’avez pas non plus hésité à aller chroniquer dans les médias de Vincent Bolloré, un autre grand ami de votre père, lequel avait pu entre autres, souvenons-nous, bénéficier des largesses du milliardaire d’extrême droite en partant en promenade sur l’un de ses yachts pour célébrer son succès à la présidentielle en 2007, une croisière de la victoire pour le moins polémique à laquelle, tout juste âgé de 10 ans, vous aviez vous aussi participé, la vie n’a pas dû être facile tous les jours. Et comme pour boucler la boucle, c’est aussi chez Bolloré, en l’occurrence dans l’émission de Pascal Praud diffusée sur CNews et Europe 1, que votre géniteur est allé s’émouvoir au sujet de votre rapide ascension médiatique : « Je suis fier de lui, de son courage et de son talent. […] Quand je vois cette flamme, cette volonté de débattre, ce courage, ça me plaît. »

Et du courage il en faut pour déclarer, comme vous l’avez fait le 29 mars sur LCI, en réponse à la question « Les juges ne sont-ils animés que par une volonté de manifestation de la vérité ou bien peuvent-ils au contraire parfois avoir des motivations politiques ? », ce qui suit : « Je ne vais pas prétendre à une objectivité sur ce sujet, que je n’ai pas. Et il est vrai que par émotion, par l’émotion qui m’anime, je suis incapable de commenter ce sujet avec une prétention d’objectivité qui n’aurait même pas lieu d’être. Et d’ailleurs je ne veux pas faire croire à vos téléspectateurs que j’ai aussi une expertise judiciaire qui n’est pas le mienne : je ne suis ni avocat ni juge ni magistrat. Et je suis aussi parfaitement au courant que ce que je dis sur ce sujet, dans la sphère publique, risque d’être interprété de mille façons différentes alors même que le procès [de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des financements libyens] est en cours. Et donc pour ces raisons, je ressens la responsabilité de céder ce débat et de le laisser aux autres, plus experts ou plus objectifs. » Bravo.

Ou pas. Car dans la foulée de ce préambule, vous avez enchaîné avec une défense inconditionnelle de votre père contre lequel ont été requis, rappelons-le, sept ans de prison et 300 000 euros d’amende, le procureur évoquant « un pacte de corruption faustien avec un des dictateurs les plus infréquentables de ces trente dernières années [Kadhafi] » et « une corruption de haute intensité, attisée par l’ambition, la soif de pouvoir, la cupidité et qui a tissé sa toile jusqu’aux plus hautes sphères de l’État », ça la fout un peu mal quand même. Mais qu’importe, après avoir expliqué vouloir « céder et laisser le débat aux autres », vous avez cru bon de poursuivre : « Mais je dirai ceci : je sais avec toute la certitude du monde que mon père est innocent. Et d’ailleurs, comme l’ont soulevé beaucoup de commentateurs et d’experts plus objectifs que moi, on ne peut qu’être choqué par le contraste entre la lourdeur des peines requises, ou le principe même d’une condamnation, et le manque total de preuves tangibles. » Amen.

Et c’est ainsi que l’on a pu assister à ce déroutant spectacle d’un « chroniqueur » reconnaissant n’avoir aucune forme d’expertise dans le domaine judiciaire mais se sentant autorisé à commenter le réquisitoire d’un procès contre son père, le tout sur le plateau d’une chaîne d’information possédée par son parrain, laquelle a tellement apprécié la séquence qu’elle en a fait une capsule publiée sur les réseaux sociaux : la palme de l’indécence est à portée de main. Et visiblement le « journaliste » responsable de cet audacieux happening, David Doukhan, ex-rédacteur en chef du service politique du Parisien/Aujourd’hui en France, était particulièrement fier de son coup, puisqu’il l’a lui aussi reposté sur son compte X alors qu’il n’y est guère actif, sa précédente publication remontant au 24 décembre, soit trois mois plus tôt, à chacun ses moments d’autosatisfaction mais pas certain que cela suffise pour obtenir le Pulitzer.

Évoquer « le manque total de preuves tangibles » dans l’affaire des financement libyens n’est pas seulement l’expression d’un point de vue mal informé, en ce qui vous concerne on doit dire qu’on a un peu de mal à y croire dans cette affaire, mais en réalité la reprise d’une fausse information largement diffusée par le clan Sarkozy, dont vous êtes, tant les éléments de preuve présentés par l’accusation sont de fait multiples et particulièrement convaincants. Mais après tout vous êtes parfaitement dans votre rôle de fils aimant, qui pourra vous le reprocher, le problème étant plutôt du côté de ceux qui vous offrent un micro pour débiter de telles inepties, et nous n’oublions pas en outre que vous êtes l’auteur de cette inoubliable sentence selon laquelle « la liberté d’expression implique précisément le droit de diffuser de fausses informations », c’est bien noté, en ce qui vous concerne vous êtes payé pour, c’est encore mieux, peut-être que cela vous réussira davantage que la vente de mocassins à glands à 300 euros la paire.

Et les fausses informations ça vous connaît, jusqu’à avoir, comme le rappelait notamment le Monde, relayé « certaines fake news trumpistes, citant, par exemple, sur LCI, d’hypothétiques transitions de genre payées par l’État fédéral américain dans les centres de rétention de migrants illégaux », bien joué, l’histoire ne dit pas si ce sont les mêmes migrants qui, à en croire Donald Trump, mangent les chats et les chiens des bons citoyens étatsuniens, si ce n’était pas aussi tragique on aurait envie d’en rire. Un Donald Trump pour lequel vous semblez avoir une admiration sans borne et dont vous avez salué avec exaltation le discours d’investiture — auquel vous avez assisté — en janvier : « Ambition. Force. Clarté. Grandeur. Liberté. Un discours d'un autre temps ». Ce qui ne surprend guère lorsque l’on sait que vous expliquez rêver de voir « triompher l'Occident, la liberté et les valeurs de la droite » tout en dénonçant dans le même temps « la destruction de notre culture par l'immigration de masse, l’autoflagellation culturelle et les dérives autoritaires d'une gauche avide de pouvoir », chacun avouera que c’est particulièrement original.

Peu après l’élection de Trump, vous vous êtes d’ailleurs fendu d’un billet pour le site belge 21News, qui héberge une dizaine de vos textes et, depuis peu, votre tout nouveau podcast, il ne manquait plus que ça, dans lequel vous affirmiez entre autres ce qui suit, attention ça pique : « L’un des paris les plus audacieux de la campagne de Trump a été de miser sur le vote des jeunes hommes, un électorat historiquement difficile à mobiliser. […] Il a abordé des thèmes comme l’économie et la sécurité, mais également la masculinité et les valeurs traditionnelles. Trump a su reconnaître et verbaliser le sentiment d’aliénation que beaucoup d’entre eux ressentent face à un monde post-MeToo qu’ils perçoivent comme de plus en plus hostile à leur identité et à leurs attributs innés. Il leur a montré qu’il pouvait être gratifiant d’être patriote, tout en rappelant une vérité immuable chez les jeunes hommes : ils rêvent de grandeur et d’empire. » OK Andrew Tate.

En parcourant vos œuvres complètes, cher Louis Sarkozy, nous avons ainsi été frappé non seulement par vos ambitions politiques grandissantes, un secret de polichinelle qui a visiblement motivé votre récent retour en France et qui semble ravir certains à droite, mais aussi — et surtout — par votre obsession de la masculinité, de la virilité et de ceux que vous nommez les « grands hommes », qui vous amène par exemple à affirmer en toute décontraction que « notre avenir repose sur les jeunes hommes, [que] sur leurs épaules se bâtissent nos routes, notre sécurité, nos libertés, nos civilisations [et qu’]ignorer cette vérité, c’est scier la branche de notre propre grandeur », ces lignes ont été écrites en 2024 et c’est réalisé sans trucage. Mais vous êtes un homme moderne, capable de reconnaître ses faiblesses, ce qui a pu vous conduire à écrire dans votre plus récente chronique pour Valeurs actuelles, à propos d’une petite fille de quatre ans, les lignes suivantes : « J’ai toujours eu une certaine aisance avec les mots et la capacité de répondre rapidement. Mais face à cette petite créature, je peinais souvent à articuler. Tel est déjà son pouvoir — purement féminin — de déstabiliser. » (1) On va vomir et on revient.

Nulle surprise dès lors à apprendre, là encore dans le portrait que vous a consacré le Monde, que vos appétits politiques reposent sur un noble projet, on vous cite : « Injecter un kilo de testostérone [à droite] et foncer ». Des propos qui ne sont malheureusement pas étonnants lorsque l’on sait qu’ils sont ceux d’un fan déclaré des armes, des drapeaux et des grandes batailles, qui se complait à mettre en scène le caractère supposément masculin de ses passions et qui va jusqu’à revendiquer être « de ceux qui pensent qu'être en forme et physiquement fort est un avantage incommensurable sur ceux qui ne le sont pas » et que « la vie est plus belle lorsque l’on est fort », mais où allez-vous chercher tout ça. Probablement des restes des enseignements que vous avez reçus à l’académie militaire de Valley Forge, près de Philadelphie, où vous avez suivi une partie de votre cursus scolaire après avoir, à votre adolescence, suivi votre mère aux États-Unis, envisageant même une carrière dans l’armée US, des enseignements desquels vous vient peut-être cette conviction : « Ce qui manque à la France, c’est un général ». No comment.

Comme on pouvait s’en douter, votre fascination pour la brutalité ne se résume pas à la chose militaire, comme en témoignent par exemple vos commentaires enthousiastes sur la politique étrangère de Donald Trump : « Trump commence par menacer, puis négocie : une diplomatie de bulldozer. Il se fait peu d’amis, mais en tant qu’isolationniste, cela lui importe peu. Ce qui compte pour lui, c’est l’efficacité. Et c’est efficace ! » Brutalité également au sujet des questions économiques en général, comme lorsque vous sommez le gouvernement français de « prendre la mesure du danger dramatique que représente notre état d’obésité, notre faible croissance et notre fiscalité écrasante » et en concluez « [qu’]il nous faudrait un [Javier] Milei, puissance 1000 », une riche idée. Et brutalité bien sûr vis-à-vis des fonctionnaires, évidemment inutiles selon vous, qui vous conduit à asséner que « nous n’avons pas besoin d’un seul Elon Musk [mais qu’]il nous en faudrait quatre ou cinq », franchement si vous adorez autant les États-Unis vous n’étiez pas obligé de revenir.

Une brutalité politique qui se double d’une arrogance civilisationnelle, laquelle a par exemple donné lieu à de savoureux échanges lorsque vous êtes interviewé par le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles :

- «Pourquoi tu veux sauvegarder à tout prix le modèle occidental ?»

- «Bah parce que l’Occident est la meilleure création de l’humanité.»

Et lorsque cette arrogance se conjugue à l’individualisme bourgeois le plus vulgaire, cela donne des propos à première vue pour le moins stratosphériques mais qui sont, au total, un condensé d’une certaine vision du monde et des rapports sociaux : « Si je pouvais acheter un bâtiment à Washington, ce serait la Bibliothèque du Congrès ; je la fermerais au public et j'installerais un billard et un bar à whisky à la place des bureaux utilisés pour la recherche. Je m’y détendrais avec des amis et je contemplerais la beauté de la civilisation occidentale. » Voilà voilà.

Cher Louis Sarkozy, en déroulant votre compte X, sobrement baptisé « napsarkozy », en référence à Napoléon, une autre passion chez vous, qui s’en étonnera, au point que vous lui avez consacré un livre (2), nous n’avons dès lors guère été bouleversé de découvrir que vous êtes coutumier des outrances en tout genre, parmi lesquelles :

- un mépris raciste pour la vie de la population palestinienne : « Négocier avec une culture qui engendre de tels comportements n’est ni possible ni souhaitable. La dissuasion israélienne reste la seule voie crédible vers la paix » ;

- une très fine analyse de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris en juillet dernier, que vous avez dénoncée comme étant « presque fasciste » ;

- de profondes pensées du type « Quelle absurdité ! On nous parle d'"islamophobie". Comment pourrait-il y avoir une phobie des idées ? » ;

- des « plaisanteries » particulièrement douteuses, par exemple au sujet des programmes de l’Agence française de développement ou à propos de l’obésité ;

- etc.

Outrances également à destination de ceux que vous considérez comme vos adversaires politiques (c’est-à-dire la gauche), avec une étonnante propension à les comparer à des nazis, entre autres :

- en qualifiant la députée européenne Rima Hassan « [d’]obscénité satirique » et de « havre d'extrémisme, de vulgarité, d'opportunisme et d’autoritarisme », dont l'« obsession » pour le peuple palestinien serait « un fétiche morbide, une sorte de schizophrénie antisioniste qui évoque davantage le Troisième Reich que Gandhi » ;

- en affirmant, à propos du sénateur communiste Ian Brossat qui critiquait sans ménagement vos propos sur les fonctionnaires, que « se faire insulter par le porte-parole du parti communiste, c’est un peu comme se faire insulter par un nazi : au fond, cela vous anoblit » (3) ;

- en traitant le désormais député d’Avignon Raphaël Arnault et le groupe antifasciste la Jeune Garde de « Sturmabteilung - édition 2024 », c’est-à-dire en les amalgamant aux SA nazis ;

- etc.

Rassurons-nous toutefois : vous ne voyez pas des nazis partout. Par exemple, lorsqu’Elon Musk exécute un (double) salut nazi, vous expliquez doctement « [qu’]il ne s'agit pas, avec une certitude absolue, d'un salut nazi », nous voilà rassurés, ajoutant même, ironiquement, dans le but de défendre le milliardaire, que « l’homme qui, le mois dernier, défendait l’idée d’importer des immigrants hautement qualifiés du monde entier et qui a été ridiculisé par l’extrême droite américaine, est désormais accusé d’être un nazi », sans visiblement vous rendre compte du caractère particulièrement déshumanisant de votre expression « importer des immigrants », mais après tout vous n’êtes plus à ça près. Et pour en finir avec votre rapport contrarié au nazisme, impossible de ne pas évoquer cette mémorable sortie (de route) de novembre 2024 : « Le communisme c’est le nazisme plus le mensonge », chacun sachant bien évidemment que les nazis, contrairement à ces salauds de rouges, se sont toujours fait un honneur de dire la vérité.

On l’aura compris, pour vous les adversaires/nazis sont à gauche, et surtout pas à l’extrême droite, en témoignent notamment vos chroniques pour Valeurs actuelles ou pour le JDNews, « magazine » de l’empire Bolloré dont la rigueur journalistique et la très nuancée orientation éditoriale ont été analysées par un courageux décorticage de l’observatoire des médias Acrimed, mais aussi vos échanges d’amabilités sur X avec Érik Tegnér, directeur du média zemmouriste Frontières/Livre noir, qui s’est récemment distingué par ses agissements douteux à l’Assemblée nationale, ou avec un Cyril Hanouna que vous présentez comme un « ami » et comme « un homme d’une immense gentillesse et générosité, et l’un des esprits médiatiques les plus brillants de notre génération », c’est émouvant. Vos ambitions vous poussent de toute évidence à cultiver vos réseaux et à ne pas insulter l’avenir, a fortiori dans la mesure où vous êtes un fervent partisan de « l’union des droites », autrement dit de l’alliance voire la fusion de la droite extrême et de l’extrême droite, à l’instar du sémillant Bruno Retailleau dont vous ne cessez de chanter les louanges et qui vous a fait l’honneur, échange de bons procédés, d’être le premier invité de votre podcast, ça fait rêver.

Cher Louis Sarkozy, nous aurions encore eu bien des choses à dire à votre sujet, mais beaucoup a déjà été rapporté, concernant notamment votre parcours « exemplaire » et votre récente intronisation comme espoir numéro un des Jeunes Républicains, dans un article fort documenté publié sur Blast, que nous recommandons chaleureusement à nos lecteurs et lectrices. Difficile toutefois de conclure cette missive sans souligner que vous êtes, au total, un symptôme typique et, à ce titre, inquiétant, de l’état de décomposition avancée des champs politique et médiatique, lesquels offrent des estrades et des micros à des individus aussi insignifiants que vous, dont le seul mérite, si l’on puit dire, est d’être introduits dans des réseaux au sein desquels des pratiques consanguines dignes de l’Ancien Régime favorisent l’ascension de jeunes arrivistes aussi médiocres qu’arrogants et, potentiellement, dangereux.

Cordialement,

Jules Blaster

(1) La petite Amy dont vous parlez dans ladite chronique est la fille de l’un de vos amis, et elle est atteinte d’un cancer. Si l’on peut évidemment comprendre votre peine et éprouver une grande empathie pour cette enfant et sa famille, cela n’enlève rien au caractère abject de vos propos, bien au contraire.

(2) Un livre que nous n’avons pas lu : il y a tout de même des limites à notre dévouement.

(3) Lorsque l’on sait qu’une partie de la famille de Ian Brossat est morte dans les camps d’extermination nazis, votre comparaison n’en est que plus infâme.

Cher Louis Sarkozy - Boxing Day #28

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