La Suisse est-elle en train de virer à la dictature ? On ne parle pas ici de la montée des partis d’extrême droite, mais d’une improbable mésaventure arrivée à un journaliste de Blast. Moran Kerinec a enquêté sur l’industrie de la newsletter santé, basée entre Genève et Lausanne. Il a ouvert une brèche et de nombreux salariés de ces sociétés d’alpagage nous ont écrit pour dénoncer leurs conditions de travail. Dans l’une d’elle, le directeur général était accusé de harcèlement et de violence envers ses salariés. Moran l’a contacté et très vite ses avocats nous ont interdit de citer son nom, en lançant une procédure kafkaïenne appelée « superprovision » contre Blast, visant à une condamnation si le nom de cet homme était cité. On découvre que c’est l’usage en Suisse et les journalistes helvètes s’y sont habitués. Pour obtenir l’autorisation de le citer, il faut plaider. Notre dossier était solide, mais nous n’avons pas eu envie de nous lancer dans une procédure coûteuse. Patatras, le tribunal n’a pas entendu nos arguments et nos témoignages et nous a condamnés à ne pas rendre public le nom du harceleur. Nous avons dû, supplément inique, rembourser les frais de procédure. Payer pour être censurer : c’est la triste réalité judiciaire du côté de Genève. « Et ça aurait pu être pire si vous étiez allés enquêter dans un autre canton », nous prévient Antoine Harari, journaliste indépendant suisse qui déplore, avec ses confrères pas tous résignés, les errances et les dérives de cette castratrice et invraisemblable jurisprudence.
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Morgane Sabouret