Des nombreux acteurs ayant participé aux guerres et aux négociations plus ou moins secrètes entre Israël et Palestine depuis une quarantaine d’années, Leïla Shahid est sans doute une des premières et une des dernières à pouvoir mettre un peu de lumière dans ce qui apparait de plus en plus obscur, manichéen et indéchiffrable. Ambassadrice dans de nombreux pays, déléguée générale de la Palestine, depuis son arrivée en Irlande en 1989 jusqu’à sa démission de l’Union européenne en 2015, la diplomate née à Beyrouth en 1949 a été de tous les combats aux côtés de Yasser Arafat, le président de l’OLP, puis sans lui après sa mort en 2004. Elle démissionne en 2015 car elle se sent inutile et désarmée pour amener la paix entre les deux États. Elle préfère alors s’investir sur un terrain plus culturel. Elle prend sa retraite en France du côté des Cévennes, non loin de Nîmes d’où elle a accordé cet entretien au long cours à Denis Robert. Le signal internet étant fluctuant, nous nous excusons de la piètre qualité de l’image. Mais peu importe au fond, le son est bon et le témoignage de Leïla Shahid, devenu rare, prime et vaut tous les cours d’histoire et de géopolitique. La militante du Fatah, toujours active et très informée, revient sur son enfance libanaise et la genèse du conflit entre israéliens et palestiniens, sur le rôle du Qatar, la folie et la responsabilité de Benjamin Netanyahou et des suprémacistes juifs qui mènent le Moyen-Orient dans un mur, sur la couardise française et européenne, la duplicité américaine, l’économie gazaouie. Jamais, elle ne met en cause les peuples, ni les dirigeants politiques des deux camps dans leur ensemble, mais elle est sans pitié pour les leaders politiques racistes, corrompus, belliqueux ou guidés par la seule religion. « Personne ne sait ce qui s’est passé le 7 octobre » dit-elle, avouant un effarement face à l’attaque du Hamas dont elle a mis quelques jours à se remettre. En janvier 2016, Leila Shahid avait accordé un roboratif entretien au CAIRN, la revue du CNRS sur lequel elle revient ici et dans lequel elle énonce : Les échecs du monde arabe depuis les indépendances conduisent actuellement au retour de la religion et à son instrumentalisation. En Palestine, on observe le même phénomène, ce qui constitue un réel problème car pour arriver à la création de deux États, il faut reconnaître l’altérité. Or, avec la religion comme cadre exclusif du politique, il n’y a pas d’altérité car sa reconnaissance passe nécessairement par la laïcité. Cette affirmation actuelle du religieux ne concerne d’ailleurs pas uniquement l’islam : elle concerne aussi certains juifs religieux qui exercent une influence croissante sur le pouvoir en Israël. Dans le monde arabe, le discours religieux est une réponse à l’échec de savoir penser l’altérité. Or, dans l’Empire ottoman, en Palestine et surtout dans le sandjak de Jérusalem on a vécu l’altérité entre juifs, chrétiens et musulmans pendant plusieurs siècles. Sept ans avant l’attaque du Hamas et la riposte sanglante d’Israël, elle posait la question de fond qui occupe et obscurcit les esprits aujourd’hui. Quand la religion se mêle de politique, c’est la fin du politique. « Le Hamas a été aussi dépassé par une population enragée » avance Leila Shahid. De la naissance et des dérives du parti islamique régnant sur Gaza, il sera beaucoup question ici. « Gaza a toujours été au cœur du mouvement palestinien. Et si vous pensez que les gens vont pouvoir oublier, vous vous trompez ». Elle revient sans cesse, comme une sourde lamentation, sur la nakba – la catastrophe- dont elle cherche l’issue. « Le seul espoir, c’est la jeunesse palestinienne » finit-elle par confier.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret