Jean François Bayart sociologue, chercheur et professeur est devenu, à 73 ans, le spécialiste mondial de « la sociologie historique et comparée du politique ». Il vit à Paris, enseigne à Genève. Érudit et inquiet, il a publié l’an passé un énorme pavé de 800 pages intitulé « L’énergie de l’État ». L’ouvrage – reconnu par l’université, mais sous-traité dans les médias français- est une somme qui pense, décrypte et (nous) projette dans l’histoire des empires et des États-nation. Livre monde, livre boulimique truffé d’histoires et de citations, « L’énergie de l’État » inscrit la vie politique de nos démocraties dans une saga qui remonte à la Rome antique pour atterrir à la France sous Macron. Même si le nom du président n’est jamais cité, il est un peu le fantôme du livre. Souvent on pense à lui et aux dérives que nous subissons et on imagine que l’auteur a sans doute écrit son bréviaire pour expliquer de quelle histoire Macron est le nom et le produit. A la fin du livre, page 729, le sieur Bayart énumère un générique de film qui pourrait être celui des personnages de son livre. L’Etat est donc le héros de son épopée. C’est aussi son personnage le « moins recommandable » : « L’État est le fils non désiré de l’empire, de mère inconnue ou difficile à identifier, et dont la propre fille la plus célèbre est la nation, et la plus cool la démocratie, encore que l’on puisse lui reprocher des mœurs légères. Les sœurs de cette dernière, le plus souvent qualifiées d’autoritaires ou de révolutionnaires, sont nettement moins sympathiques, mais tout aussi changeantes et équivoques. » écrit JF Bayart avant de balancer : « L’État, c’est la société politique + la société civile : une hégémonie cuirassée de coercition. » Plus avant dans le livre, Bayart cite Marx : « L’Etat est une abstraction, seul le peuple est concret » ou La Boetie « le tyran asservit ses sujets les uns après les autres ». Après ce pantagruélique ouvrage, après cinquante années de recherches, de cours, de conférences, de voyages sur toute la planète, le professeur Bayart est sorti de son bois et de son confort pour évoque, début mai, la France sous Emmanuel Macron. Il l’a fait dans un article publié dans le journal suisse « le Temps » (lien) qui a fait grand bruit. Denis Robert l’avait évoqué dans son dernier édito (lien). Il poursuit le travail. Macron est torpillé par JF Bayart, réduit au portait d’un « enfant immature, sourd à autrui, arrogant, incompétent… dont les caprices ont force de loi au mépris de la Loi ou des réalités internationales ». Plus grave, Bayart, dont on apprend qu’il a voté Macron en 2017 et en 2022, est persuadé que sous le magistère illibéral de ce président malade, la France va basculer. Vers quoi ? Le néant ? Le fascisme ? La techno-surveillance ? La violence libérale et inégalitaire ? La visée de ce long et virevoltant entretien est de tenter de répondre -entre autres- à cette épineuse question. Denis Robert a voulu présenter dans ce zoom arrière celui qui parle et attaque si durement Emmanuel Macron : un homme paisible, bavard, cultivé dont l’angoisse de voir l’État français sombrer est communicative. Écouter ce professeur rend plus lucide sur ce qui nous attend. Rien que pour ça, il faut s’accrocher à cette conversation et la partager. Bayart construit un récit qui nous intrigue et qui finit par détruire tout ce que porte et transporte la Macronie.
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