"Je me souviens d'un coup de fil ce jour de février d'il y a deux ans. Ma meilleure amie, Alexandra Koszelyk, est écrivaine et d'origine ukrainienne. Ce qui se jouait là bas lui brisait le cœur et de manière très tangible. Elle me dit : "J'arrête tout, il faut que je fasse quelque chose". Je l'écoute, je ne sais pas trop quoi dire. Je lui dis d'écrire parce que c'est la seule arme dont elle dispose. Parler de la culture, de ce qu'elle sent dans son ventre, de l'identité profonde de son peuple, elle l'a fait. Pendant des mois, elle n'a fait que ça. Et c'est devenu son roman L'archiviste (Aux Forges de Vulcain), qui racontait ce qu'était une culture perpétuellement menacée. Récupérée par un homme sombre qui veut la détourner. Cette guerre m'a concerné d'abord par ce coup de fil et par ce livre. Cela crée un rapport très différent à l'événement lorsqu'il renvoie directement à un visage. Quand, d'un seul coup, l'histoire fait irruption dans l'écouteur du téléphone, ça fait s'intéresser davantage. Être concerné par ce président Zelensky d'abord, un acteur presque potache, condamné à devenir du jour au lendemain, un héros national. Et puis les premières villes que des gens effrayés quittaient des images d'exode qui rappelaient des fantômes du passé. Et puis la résistance inespérée d'un peuple dont on attendait qu'il ne fasse pas long feu devant cette agression. Une annexion que les plus fatalistes avaient déjà intégrée à leur analyse. Mais je ne voulais pas me consacrer à ceux qui réagissent au présent impérieux et qui publient dans l'urgence leur sagesse pragmatique. Notre rôle à Blast est d'historiciser. Je ne vais pas prétendre être ce que je ne suis pas. Je ne suis pas un spécialiste, je ne suis pas un universitaire. Ici, je fais dialoguer les documentaires et j'y apprend des choses avec vous. Il faut proposer des films qui éduquent, qui élèvent, qui détachent de cette injonction constante à réagir ou à savoir quoi penser. Plutôt qu'ajouter à la confusion du monde, je veux tenter de le comprendre avec des films, de croiser des regards dans des documentaires pour rétablir un lien. Une humanité dont souvent, les journaux télévisés n'ont pas le temps. Alors, même si parfois c'est dur, prenons le temps." Nouvel épisode de Doc doc doc, par Nicolas Houguet.
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret / Diane Lataste